Après Leila et son Inde desséchée, j’ai eu envie de rester sur la même thématique avec La fille de l’eau. Pas de dimension féministe, ici. On va rester purement sur le sujet de l’eau. Nous allons suivre l’histoire de Noria, jeune apprentie pour devenir maître de thé, dans un monde qui souffre cruellement de la soif. Et vous le savez : quand une ressource manque, l’autoritarisme n’est jamais très loin.
L’eau, une denrée rare et régulée
Noria est donc une jeune apprentie pour devenir maître du thé, reprenant ainsi la suite de son père. Elle vit sa vie dans une relative insouciance, se rendant régulièrement au village voisin pour visiter sa meilleure amie Sana. Au village, la soif taraude les plus démunis car l’eau est sévèrement rationnée. L’eau devient d’ailleurs une monnaie d’échange à part entière. Ainsi Noria paie les travaux qu’effectue Sana en gourdes d’eau. La situation se fait de plus en plus tendue. Régulièrement, certaines maisons se retrouvent décorées d’un énorme cercle bleu signifiant “crime d’eau”. Tout trafic est formellement interdit et le châtiment peut aller jusqu’à la mort.
Un secret d’eau
Mais Noria ne souffre pas de soif. Car son père, en tant que maître du thé, partage avec elle un lourd secret. Sous la colline voisine se cache une source d’eau pure, source dont il se sert pour ses cérémonies du thé. Ce qui n’est pas sans éveiller les soupçons d’un commandant de police très curieux. Alors que Noria grandit et s’apprête à passer l’épreuve pour devenir maître, ses explorations dans « la fosse plastique » lui permet de mettre la main sur d’étranges disques argentés. Placés dans un vieil appareil que Sana a réparé, ils racontent d’étranges histoires…
Un univers assez obscur
La fille de l’eau est un roman assez énigmatique dans le sens où il est peu généreux en explications sur son propre univers. On a rapidement des indices que l’action se passe dans un univers différent du nôtre, notamment via des lanternes dans lesquelles on jette des mouches ardentes pour s’éclairer, mais on a un peu de mal à saisir la réalité de cet univers. Car Emmi Itäranta, l’autrice de La fille de l’eau, nous distribue les éléments au fur et à mesure du récit. Parti pris relativement intéressant puisque nous suivons toute l’intrigue à travers les yeux de Noria qui ne s’étonne pas de son quotidien. Nous découvrons donc en premier lieu cette crise de l’eau qui a radicalement changé le paysage. Si l’on finit par comprendre que nous sommes quelques part au Nord, grâce à l’apparition d’une aurore boréale, nous n’en savons guère plus. Les noms qui nous sont distribués tout au long du récit ne nous aident absolument pas puisque beaucoup ont des consonances asiatiques.
Un monde qui a oublié sa propre Histoire
Cette confusion est également celle des personnages. Quand Noria découvre les CD sur lesquels sont gravés des témoignages de notre période contemporaine, nous comprenons que le monde est devenu amnésique. Il est question du temps d’avant où les Humains n’ont pas respecté la planète puis des temps obscurs mais rien n’est vraiment détaillé. La fosse plastique est souvent de forts clins d’oeil de l’autrice qui nous décrit des objets de notre quotidien et les fait décrire par Sana et Noria comme des incongruités qui ne servent à rien. Il est certes amusant de constater que nos contemporains aient choisi le CD pour graver des messages. J’avais compris cette incongruité dans Le dernier Homme de Margaret Atwood car le roman a été écrit en 2003 mais La fille de l’eau est sorti en 2015. Il est cependant possible que l’autrice ait choisi le CD pour son côté argenté qui rappelle l’eau et sa rotondité qui fait écho aux cercles bleus des crimes d’eau.
Un Etat qui ment… ?
La crise de l’eau n’est pas le seul thème du roman, il y en a un autre, très présent : cette amnésie collective qui semble orchestrée. On découvre au fur et à mesure du roman qu’il existe des zones interdites, trop fortement contaminées. Comme dans Chronique du Pays des mères qui reprend également cette idée d’oubli du passé. Mais les CD que découvre Noria semblent raconter une toute autre histoire. Où est la vérité ? Une question d’autant plus prégnante que les autorités du village semblent devenir de plus en plus violentes et que des échauffourées ont lieu dans la capitale…
Un niveau technologique un peu incompréhensible
Si vous trouvez mon article un peu fouillis, c’est que le roman l’est pas mal. En réalité, je ne suis pas certaine d’avoir compris de quoi il voulait me parler précisément. Crise écologique, autoritarisme, réécriture de l’Histoire et mensonge d’Etat ? Ou tout ceci à la fois ? L’univers décrit est assez plaisant et intrigant mais très pauvre en description. Noria se balade en hélicamion ou en hélivélo mais je n’ai pas réussi à mettre une image sur ces appareils… D’autant qu’à un aucun moment, je n’ai eu l’impression que ça volait. Des hélices, ok mais où ? Pourquoi ? Idem sur le niveau technologique de cette société, je n’ai rien compris. Il y a de l’électricité mais ils tuent des mouches par trouzaines pour s’éclairer. Ils utilisent des texteurs, ce que l’on appelait pager à notre époque, Noria a même un frigo mais ils ne reconnaissent pas la plupart de nos objets technologiques. Alors oui, à l’heure du réchauffement climatique, un frigo sera toujours plus utile qu’un lecteur CD… Lecteur CD que ma nièce de 2 ans ne connaîtra sans doute jamais, certes.
Beaucoup de promesses peu tenues
La fille de l’eau est généreux en pistes ouvertes mais il sonne creux. Car les histoires qui m’intéressent le plus sont celles qui sont annoncées mais qui n’arriveront finalement jamais. On a l’impression que le roman va prendre un chemin et finalement, non, il reste à sa place. Reste une description un peu vague d’un univers que l’on a du mal à situer et à cerner et un goût d’inachevé bien dommage. Surtout que beaucoup d’ingrédients semblaient fort prometteurs mais Emmi Itäranta est un peu comme son personnage, elle reste très passive. Le récit évolue plus par ce que subit Noria que parce qu’elle décide de faire. J’ai lu le roman très vite car j’attendais une réelle action de Noria. Qu’elle arrête de subir. Tout le temps. Et il est parfois difficile de s’attacher à un personnage qui fait pile ce qu’on lui dit de ne pas faire car elle ne semble pas si futée que ça.
Dans la mouvance des dystopies écologistes
Bref, l’univers esquissé par Emmi Itäranta est très intrigant et je reste sur ma faim. Peut-être une suite est-elle prévue mais… je ne suis pas certaine de m’y plonger. Cependant ce roman s’inscrit dans une mouvance de plus en plus forte de monde post-catastrophe écologique et quand on considère que les dystopies sont les reflets des préoccupations de leur temps, cette tendance de plus en plus marquée me rassure un peu quant à la prise de conscience du réchauffement climatique par une frange de plus en plus large de la population.
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