La mort rose, la dystopie qui a prédit le Covid

Une dystopie qui raconte un état autoritaro-hygiéniste, assez commun depuis le covid. Sauf que la mort rose date de 2015.

Enfant des années 80, j’ai vécu quelques événements qui auraient pu radicalement changer la face du monde. La chute du mur de Berlin, le 11 septembre, le Covid. Si le premier, on l’espérait alors, aurait pu donner naissance à une pure utopie, les deux autres auraient pu être le point de départ de régimes autoritaires. Soit guerrier, soit hygiéniste. Un peu comme dans la série L’autre côté ou Hot skull. Et justement, restons en Espagne avec une BD de Jaume Pallardo qui nous narre un monde qui vit sous bulle depuis qu’un virus a décimé une large partie de la population. Une BD écrite en… 2018.

La mort rose de Jaume Pallardo

L’histoire : Suite à un virus mortel, l’humanité vit désormais dans un semi-confinement permanent. Miguel est un professeur qui vit sa petite vie tranquille. Souvent enfermé chez lui car les sorties font l’objet d’un protocole sanitaire lourd, il sort de temps en temps rencontrer ses amis. En l’occurence, un couple qui a décidé de cultiver des légumes et fruits en secret. Célibataire, Miguel rencontre Gloria sur un site de rencontre et glisse peu à peu dans un univers underground où on refuse cette société hygiéniste. Et où l’on considère que le gouvernement ment à propos de la persistance du virus.

La mort rose de Jaume Pallardo

Cette BD va donc nous proposer d’abord une vision systémique de son univers avec des règles très strictes. Chaque individu sortant de chez lui doit porter une combinaison. Une fois qu’il entre dans une maison, il doit subir un protocole de décontamination et brûler sa combinaison. Il en utilisera une neuve pour sa prochaine sortie. Les intérieurs sont considérés comme safe et on peut s’y promener sans combinaison. C’est le seul lieu où les individus peuvent réellement se voir. La BD nous raconte d’ailleurs que Miguel a une touche avec une copine de son amie maraîchère mais il est moyen chaud. Car, même s’ils ont passé une soirée ensemble à l’extérieur, il ne sait pas à quoi elle ressemble. La société que l’on nous présente a donc des rouages stricts justifiés par la survie commune. On a quelques visions des arcanes du pouvoir à travers une scène qui se passe dans des ministères. Mais on n’en sait finalement pas beaucoup plus.

La mort rose de Pallardo

Car la BD va surtout s’intéresser au parcours de Miguel. Enseignant appliqué, il ne remet pas en cause le système. Sa première transgression est de manger du melon cultivé “hors circuit” par ses amis. Cependant, les transgressions semblent coûter cher dans cet univers. La BD nous raconte en ouverture l’histoire d’une famille décimée par la mort rose car ils sont partis se balader en forêt hors sentier battu. Un membre de la famille a déchiré sa combinaison sans s’en rendre compte. Or, la population commence à douter de l’importance de tous ces protocoles, de la réalité de la maladie. Outre la culture prohibée de fruits et légumes potentiellement porteurs de la maladie, Miguel va rencontrer des activistes qui estiment que la maladie n’est plus qu’une fable du gouvernement. Ils la cultivent pour asservir le peuple mais la menace a disparu depuis longtemps.

La mort rose, architecture

Les discussions de Miguel et Gloria vont nous permettre de découvrir qu’il existe également différents types de villes. Miguel vit dans une ville plutôt modeste où seules les maisons sont à l’abri du virus, grâce aux protocoles stricts. Alors que Gloria vient d’une ville sous dôme où les citoyens peuvent se balader sans combinaison. Amusant quand on y pense puisque les citoyens les plus riches n’ont pas besoin d’investir une part de leur argent en combinaisons. Et oui, les moins aisés sont, de facto, assignés à résidence puisque chaque sortir leur coûte à minima deux combinaisons. 

Vivre en combinaison

Concentrons-nous maintenant sur le coeur de la mort rose : la théorie du complot. Quand Miguel commence à fréquenter des sceptiques quant à la maladie, il les considère comme des illuminés. Il accepte de les accompagner en sortie “taggage” puisqu’il dessine à ses heures perdues. Mais il le fait plus pour vivre un moment intense avec Gloria plutôt que par conviction. Il va peu à peu être touché par ces théories puis finalement les embrasser. Il sera confronté à ses amis qui ne seront, eux, que très peu convaincus par ces considérations. Manger des fruits et légumes “sauvages”, ok, mais quitter sa combinaison confine à la folie.

Vivre en combinaison, BD

Pour rappel, La mort rose a été publiée en 2018 en France, 2015 et 2017 en Espagne. Ce qui met l’auteur en délicatesse. Dans l’édition que j’ai lue, une note a été ajoutée par l’auteur lui-même en fin de BD pour rappeler qu’il a écrit sa BD bien avant le premier cas Covid, son inspiration venant d’un cas d’Ebola détecté en Espagne. Son histoire n’avait donc pas pour vocation de nourrir les discours des antivax et anti-masques mais plus de questionner l’autoritarisme du pouvoir. Pallardo se voyait plus dans la veine d’un 1984 ou d’un Soleil vert que d’un France Soir. C’est aussi ce qui m’a plu dans cette BD qui ouvre, malgré elle, une discussion sur un lien malheureux entre dystopie et complotisme. La dystopie se repose souvent sur la narration d’une rébellion, d’une résistance à des règles perçues comme arbitraires, une soumission du peuple par la force ou la chimie, toujours “pour son bien”. “Son bien” étant dicté par de hautes instances dirigeantes. Cependant, la frontière est fine entre résistance légitime à un pouvoir trop autoritaire, souvent inégalitaire, et un complotisme reposant sur un lit épais d’intox.

Se méfier des infos

Bref, La mort rose est une BD au design intéressant, tout en nuances de rose, mais qui raconte une histoire troublante, au vu de ce qu’il s’est passé depuis. J’aurais aimé que certains pans de cet univers soit plus creusé car les quelques ingrédient semés ça et là mettent en appétit. Notamment la ville sous dôme, j’aurais adoré une BD consacrée à un habitant de la cité. Mais bon, les villes sous dôme, c’est mon péché mignon, que voulez-vous. 

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