La ballade de Lila K, la dystopie par petites touches

Quand on écrit une dystopie, on a tendance à vouloir décrire notre système en profondeur. La ballade de Lila K, non.

Ecrire une dystopie, c’est imaginer une société avec ses rouages, une oppression plus ou moins assumée. Et, souvent, des personnages qui essaient de faire tomber les autoritaires. Mais parfois, quelques fictions échappent à ce grand récit de résistance et de dénonciation d’une dérive de notre société vers son pire pour nous raconter une simple histoire. Aujourd’hui, je vais donc vous présenter La ballade de Lila K. A la fois à travers son système oppressif mais surtout en tant qu’objet fictionnel. 

La ballade de Lila K

L’histoire. Lila est une très jeune enfant arrachée à sa mère pour être mise en institut. Nous allons donc suivre l’enfance de cette petite fille traumatisée mais intelligente qui ne se sent pas très en phase avec la société dans laquelle elle vit. Obsédée par l’idée de retrouver sa mère, elle traverse l’enfance dans la souffrance. Jusqu’à rencontrer le Dr Kauffman, un psychologue peu conventionnel, qui l’initiera au plaisir des livres papiers. Une fois adulte, prête à accomplir sa quête, elle décide de partir travailler à la Grande Bibliothèque de Paris.

BNF

Bon, résumer La ballade de Lila K est légèrement compliqué. Ecrit à la première personne, il s’agit d’une grande lettre que Lila souhaite adresser à un homme qu’elle rencontrera à l’âge adulte. Mais je ne vais pas en dire trop sur le sujet car ça arrive assez tard dans le roman et je ne veux pas spoiler. Elle y raconte son enfance dans le centre, les quelques rencontres qu’elle y fait. Son travail à la bibliothèque et sa quête effrénée pour retrouver sa mère. Une histoire habillée de quelques indices concernant la société dans laquelle elle évolue. Un Paris futuriste, gavé de caméras de surveillance, et des banlieues appelées “zones” qui vous situent précisément sur l’échelle sociale. Plus vous vivez loin, plus vous êtes pauvres. Un peu comme aujourd’hui mais sans aucune enclave bourgeoise. Genre dans ce système, Saint-Nom la Bretèche, c’est la zone.  

St Nom la Bretèche

On a finalement une vision peu claire de ce « Néo-Paris ». La BNF est toujours debout mais pour le reste. Il existe un anneau circulaire sur lequel Lila fait son jogging. On se doute que ce n’est pas la paix et la félicité car des hélicoptères traversent le ciel et effraient Lila lors de son enfance. Les immeubles sont hauts. Les appartements standardisés avec des placards dans les murs et des projections sur les murs pour habiller son petit chez soi. La reproduction est totalement sous contrôle puisque les jeunes filles reçoivent un implant contraceptif et un vibromasseur à leur puberté. Cette société est d’ailleurs très hygiéniste puisque les livres papier sont peu à peu détruits pour éviter des contaminations par des bactéries se développant sur ce support. Ou alors c’est pour contrôler l’accès à la culture en ne numérisant que certains livres, allez savoir.

La toxicité des livres

Il se passe aussi des choses d’un point de vue biologique. Pas mal de chirurgie esthétique. Et des petites expériences permettant la création d’animaux comme le chat arc-en-ciel, un abyssin qui change régulièrement de couleur. Côté pas de chance, on a aussi des Humains monstrueux, des chimères. Il est notamment question d’un bébé sans bras ou d’un homme effrayant. Lila va en croiser une qui va fortement l’effrayer avant de peu à peu devenir son ami. Lila étant, elle, une très belle femme, j’ai l’impression que cette partie du roman est la partie Notre-Dame de Paris. On sait également que la zone est vue comme un lieu sans foi ni loi et que venir de là est limite ostracisant. On sait également qu’il y a des gens qui se dressent contre le pouvoir établi, notamment pour essayer de réhabiliter la zone. Mais pour le reste, on n’aura pas plus d’informations. 

Paris du futur

En fermant ce roman, je me suis prise à rêver. Et si cette ballade de Lila K n’était qu’une introduction à une oeuvre littéraire plus large ? Moi, je veux lire l’histoire qui explique les hélicoptères dans le ciel pendant l’enfance de Lila. Je veux lire l’histoire de Milo, aussi. J’aimerais comprendre pourquoi les chimères ? Je veux comprendre qui gouverne et pourquoi ils prennent certaines décisions. De qui a-t-on peur ? Ou de quoi, plutôt ? Je lis des choses, à travers les lignes. Cette société semble profondément inégalitaire. Le Paris dont on me parle est une sorte de cour de Versailles où les nantis se racontent des histoires qui font peur sur les gens au-dehors. Oui parce que ce roman nous raconte de facto deux histoires. Celle de Lila puis, sur la fin, celle de sa mère. L’histoire de celle qui a une chance de s’en sortir grâce, notamment, au Dr Kauffman et à sa propre intelligence. Et celle qui a chu toujours plus loin dans la zone juste parce qu’à la base, son implant contraceptif n’a pas fonctionné. 

Jeune femme enceinte

C’est somme toute assez courageux de proposer une dystopie qui n’explique pas tout. La ballade de Lila K nous esquisse une dystopie par petites touches mais notre imagination a du boulot à faire pour recoller les morceaux. Par moments, je me disais que la ballade de Lila K se passait dans l’univers de Trepalium. Mais j’ai sans doute associé les deux car Trepalium était tourné dans les couloirs de la BNF. On pense aussi à 1984. Même si ce n’est pas dit explicitement, on sait qu’il y a une censure qui s’effectue sur les livres avec les livres papier interdits et ne subsiste que ce qui est numérisé. Le fait que ce qu’on dit de la zone semble faux, également. On a nos quelques pièces de puzzle, à nous de reconstituer le tableau en faisant appel à nos références, notre capacité à tisser une autre histoire, imaginer un système.

Imaginer un système

Alors il est possible que La ballade de Lila K frustre. Moi-même, j’aurais aimé savoir ce que Blandine Le Callet avait en tête quand elle parlait de ces hélicoptères, ce qui a pu arriver à des personnages que Lila croise. Blandine Le Callet aurait pu écrire facilement cinq ou six romans sur cet univers tant elle initie des thèmes, elle met en scène des personnages forts qui disparaissent soudain de la lumière et qu’on aimerait suivre encore. Cependant, j’ai aimé le roman et je n’ai pas eu la sensation d’une autrice qui reste vague un peu par flemme, un peu par triche.  Le style est fluide, on se plonge très facilement dans cet univers et les questionnements de Lila trouvent une réponse. Car finalement, ce que le roman ne nous raconte pas, c’est finalement ce que Lila ne sait pas… et n’a pas l’air de vouloir savoir. Une belle cohérence. 

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