F.A.U.S.T, une dystopie politique bien dense

Au rayon cyberpunk français, je demande Serge Lehman et son F.A.U.S.T, une oeuvre dense, ambitieuse et hautement politique.

Il est parfois compliqué de définir ce qu’est une dystopie tant le genre propose des thèmes et univers parfois très éloignés les uns des autres. Si, ces derniers temps, la dystopie de type androïde prend pas mal de place dans nos imaginaires, il y a un genre qui traverse les époques et nous offre quelques œuvres régulièrement : la dystopie politique. Qu’elle soit sombre comme 1984 ou plus loufoque comme Brazil, voire faussement utopique comme Un bonheur insoutenable, des auteurs se posent régulièrement la question d’un autre modèle politique et de ses conséquences sur la vie des gens. C’est le cas aujourd’hui dans F.A.U.S.T, sorte de Game of thrones du futur, finalement. Avec beaucoup de manigance, de la technologie et même des supers soldats. Quel menu !

F.A.U.S.T de Serge Lehman

L’histoire. Fin du XXIe siècle, le monde est devenu une ère globalisée avec une immense route qui fait le tour du monde. Mais les scissions sont légion. D’abord socialement. De nombreux humains ont échoué dans le Veld, sorte d’immense poubelle radioactive à ciel ouvert. Des zones que l’on retrouve un peu partout dans le monde. A côté, nous avons le village qui désigne les espaces urbanisés de ce monde globalisé. Mais c’est surtout au niveau politique que les tensions se jouent. La Fédération Européenne, seule structure politique encore en place, s’oppose à l’Instance, une sorte de conglomérat de multinationales bien décidées à faire ce qu’elles veulent sans se préoccuper de la législation.

Les conglomérats

La situation devenant de plus en plus tendue. Elisabeth Conti, Présidente de la Fédération Européenne, décide de fonder le Square, une sorte d’agence de sécurité dans laquelle on va retrouver de jeunes soldats issus du Veld et tous boostés aux nanorobots. Parmi eux, Chan, un jeune garçon intrépide et particulièrement doué, avide de vengeance, l’Instance ayant assassiné son père, Paul Corey. Chan est le F.A.U.S.T, le premier de tous ces soldats, sans doute le meilleur. Mais l’entraînement ne se passe pas comme prévu et la partie d’échec entre Conti et l’Instance devient de plus en plus intense. 

Jeu géopolitique

Avant de poursuivre, il faut comprendre que F.A.U.S.T est une oeuvre dense. Il s’agit en réalité de cinq ouvrages réunis ensemble dans une édition. Nous suivons d’abord les aventures du jeune Paul Corey, à la recherche d’une terre mythique, Livérion. Puis dans une seconde novella, nous allons suivre des jeunes enfants du Veld et celui qui les a recueillis dans le Village. Car ils ont retrouvé un peu par hasard le corps cryogénisé du Président de la Fédération Européenne, alors que celui-ci n’est pas censé avoir disparu. Ensuite nous rentrons dans la trilogie du F.A.U.S.T qui nous présente ce que je pourrais appeler l’éveil de Chan, son entraînement avec ses camarades puis sa vie après un gros combat. En un mot : Serge Lehman nous distribue plusieurs arcs narratifs pour bien nous expliquer comment son monde fonctionne.

Créer son univers

Commençons donc l’analyse de cette oeuvre phare par la dimension technologique. Le monde de F.A.U.S.T est bourré de technologies du futur. Télécommunications, transports via des “bondisseurs”, nanorobots, réalités virtuelles, cryogénisation, biométrie, clonage, d’énormes engins évoluant au coeur des montagnes de déchets. Et une ville futuriste tout en hauteur comme on aime. Alors listé comme ça, ça peut donner une impression un peu foutraque et F.A.U.S.T l’est, de par sa structure. Cependant, même si on peut trouver tout ça un peu cliché,  nul doute que cette oeuvre est écrit par un véritable amoureux de la science-fiction qui ne s’est fixé aucune limite. Et franchement, si la technologie est omniprésente dans ce roman, elle n’est jamais utilisée comme un deus ex machina un peu forcé, par exemple. Lehman se fait plaisir mais n’oublie pas son lecteur en cours de route.

Un univers futuriste

Mais la technologie a surtout une dimension cosmétique. Le coeur du roman, ce sont vraiment les fractures entre deux puissances qui s’affrontent. Mais aussi entre les populations du village et celles du Veld. Le volet politique a tout d’une partie d’échec endiablée et m’a évoqué Fondation qui se repose pas mal sur les jeux de pouvoir. Personnellement, c’est un domaine que j’affectionne tout particulièrement. Je me suis particulièrement régalée sur les contre-kems permanent de l’Instance et de la Fédération européenne. Après, si ce n’est pas votre came, je ne suis pas certaine que ce soit si présent que ça dans le roman et que ça vous ferait sortir de l’histoire. Surtout que pendant de longs passages, il n’est pas question de ça. L’idée de la fin des Etats, représentée ici par l’Instance, n’est pas une idée révolutionnaire. On l’avait vu notamment dans Chien 51. Il y a beaucoup d’entreprises surpuissantes et maléfiques dans les dystopies. Doncmême si Lehman va jusqu’à imaginer l’effondrement de l’Etat-nation, on n’est pas tout à fait dépaysés.

Un monde globalisé

Autre “classique” des dystopies : les zones abandonnées par la civilisation. Les zones de déchets où ceux qui y échouent survivent plus qu’il ne vivent. Là, pour le coup, on croise assez souvent ce cas là. Déjà dans Chien 51 sus-cité mais on va avoir ça dans Final Fantasy, Exodes, Chroniques du pays des mères… Je ne vais pas tous les lister mais l’idée est souvent la suivante : les bien lotis, au chaud sous des dômes, les autres feront ce qu’ils pourront. La vie difficile du Veld est très bien décrite dans Wonderland. Notamment avec le personnage d’Andréa qui, si elle sait parfaitement survivre dans le Veld, est prête à tout pour en sortir. Littéralement à tout. Chan y vit également, ce qui nous permet de découvrir la dimension très hygiéniste du village. Chan, n’étant pas à jour de ses vaccins, ne peut y entrer. Quand le roman nous explique que le Veld est une montagne de déchets, ça inclue les humains, souvent vus comme des rebuts inutiles à la société.

D2CHARGE

F.A.U.S.T est donc une oeuvre d’un très bon élève qui connaît ses classiques et nous reconstruit un univers parfaitement crédible avec une plume remarquable. Mais. Oui, il y a un mais. Cette fiction est très dense et nous dissémine tout un tas d’histoires à droite, à gauche, qui ne sont là que pour ajouter des ingrédients mais n’auront ni fin ni explications supplémentaires. Ce qui est assez dommage car c’est précisément ce qui m’intéressait. Les personnages d’Eve ou d’Ulysse, par exemple, m’intriguaient pas mal. L’histoire de Lia, également, j’aurais aimé qu’elle soit un peu plus creusée. Celles des gamins du Veld. Tout le dernier roman de la trilogie F.A.U.S.T nous introduit à une histoire que j’aurais aimé suivre plus loin, alors que l’Instance semble avoir remporté une nouvelle victoire. F.A.U.S.T est à la limite de ce “livre qui n’existe pas et dont je dois faire le deuil”, un phénomène dont j’ai parlé par ailleurs et qui me frustre toujours intensément. F.A.U.S.T est déjà très riche et il semble un peu abusé de lui reprocher de ne pas avoir exploré telle ou telle piste. Mais pour être sincère, j’aurais aimé un peu moins de Chan et plus d’Eve. Ou de Lia. Et surtout d’Ulysse. Voire d’Elisabeth Conti. Bref, les personnages secondaires me paraissaient avoir un potentiel bien plus important que celui du héros un peu trop parfait et increvable.

F.A.U.S.T de Serge Lehman

Faut-il lire F.A.U.S.T ? Oui. C’est vraiment un monument de la dystopie française et ce serait dommage de s’en passer. Je trouve Lehman bien plus agréable à lire qu’un Damasio, par exemple. Déjà parce qu’il n’éprouve pas une allergie viscérale pour tout ce que l’on peut ranger sous le mot “progrès”. Le monde de F.A.U.S.T est dense et il fonctionne. Et c’est vraiment écrit par un amoureux du genre qui nous régale. En fait, F.A.U.S.T coche pas mal d’items de la liste des ingrédients dystopiques mais à l’inverse de The Creator, c’est fait avec cohérence. Peut-être parce que Lehman a d’abord écrit un roman qui lui plaît plutôt que de chercher à appâter un certain public. Peut-être. Mais la lecture vaut le coup. Et ne vous sentez pas intimidés par la taille de l’ouvrage. Ca se lit vraiment facilement. Et pensez à la version électronique pour vos voyages en train de fin d’année !

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