Chien 51, quand les entreprises rachètent les Etats

Quand j’étais étudiante en science politique, on avait un cours dédié aux acteurs des relations internationales. Les Etats, bien sûr. Mais aussi les ONG, les organisations intergouvernementales eeeeet les entreprises. Le privé. Et c’est toujours un côté qui m’a intriguée car le potentiel d’histoires, notamment dystopiques, autour de ce concept est fou. J’ai moi-même écrit une dystopie qui tournait autour de ce concept, une autre abandonnée en cours de route. Ca me gratte l’imagination et je ne suis pas la seule puisque c’est le point de départ de Chien 51 de Laurent Gaudé. Le jour où la Grèce fit faillite et fut rachetée par une corporation.

Un pays racheté par une corporation

L’histoire : la Grèce, en faillite, est rachetée par une corporation, Goldex. Les Grecs sont désormais pris en tenaille : devenir cilariés de l’entreprise ou fuir. Quelques années plus tard, Zem, un ancien Grec, vit dans Magnapole, une cité gérée par Goldex. Flic miteux et peu impliqué, il vit dans la zone 3. Celle qui n’est pas protégée par un dôme et subit tempêtes, pluies acides et chaleur écrasante. L’ascenseur social est cassé d’entrée de jeu et le seul espoir des cilariés de zone 3 de sortir de la misère est de gagner une sorte de loterie. D’ailleurs, le cadavre d’un heureux gagnant va être découvert un beau matin sur la zone 3. Une découverte un peu gênante qui va obliger Zem à faire équipe avec Salia, une flic de la zone 2. Une zone où il s’était promis de ne plus remettre les pieds mais qu’il va devoir recôtoyer.

Un rouleau-compresseur

A travers ce roman qui avance à un rythme soutenu, Gaudé va nous proposer différents thèmes pour peindre sa dystopie. D’abord l’histoire de la Grèce, esquissée à travers les souvenirs de Zem. Etudiant idéaliste et engagé qui va lutter pour protéger son pays et se rebeller contre une police violente et meurtrière. Un thème de résistance qui m’est cher et qui sert à dépeindre à quel point ces corporations sont sans pitié. Un rouleau-compresseur contre lequel toute résistance est impossible ou presque. Tout au long de Chien 51, la question de la collaboration ou de la soumission suppure.

Un soupçon de politique

D’ailleurs, Chien 51 nous sert une intrigue politique. Assez légère puisqu’il s’agit d’une életion de personnages que l’on voit passer épisodiquement mais qui va prendre peu à peu de la consistance. Un point assez intéressant là aussi puisque plusieurs visions s’affrontent entre nantis déjà bien installés et gars venu d’en bas qui veut être élu pour aider la zone 3. On se croirait dans une série coréenne !

Quelques passages en réalité virtuelle

Autre classique de dystopie, la réalité virtuelle. Zem se rend régulièrement dans un bar pour s’abîmer dans des vidéos virtuelles, aidé par une drogue pour l’immersion. Evidemment, si la plupart des clients choisissent des vidéos de sexe, Zem lui, choisit des vidéos de sa Grèce natale dont il n’a jamais fait le deuil. Le roman est émaillé de gadgets technologiques et autres transhumains pour nous rappeler que nous sommes dans le futur. La victime du meurtre avait elle-même bénéficié de transplantations d’organes modifiés.

Du sexe libre

Autre sujet plus inattendu mais que j’ai déjà vu passer dans des dystopies de façon plus ou moins heureuse : le sexe ! Alors ici, pas de sexe virtuel si ce n’est avec des vidéos, comme expliqué dans le paragraphe précédent. Mais Magnapole organise des Love days, des nuits de baise. Vous vous souvenez d’American Nightmare avec la nuit où tous les crimes sont permis. Et bien là, c’est pareil mais avec le sexe. Pourquoi ? Pour la même raison que la loterie de la zone 3. Alléger le quotidien et faire taire les récriminations. Et sans doute aussi parce que ça émoustillait un peu l’auteur parce que l’utililité de cette histoire de Love days est somme toute très relative. Mais ça fait partie de cet univers pas mal glauque et triste où tous les personnages ont l’air d’avancer seuls, cherchant à échapper à leur destin. 

Un bon roman de rentrée pluvieuse

Chien 51 n’est pas un roman haletant même si son rythme est soutenu et son intrigue tient bien la route. Les révélations finales sont bien vues. Mais le roman a un côté sombre et crade qui se sierait mal avec une lecture de plage. Par contre, pour une rentrée pluvieuse, c’est nickel. Sans avoir été totalement enthousiasmée par ce roman, sans doute le côté noir, je l’ai lu rapidement et je pense que pour tous ceux qui s’intéressent à la question du pouvoir politique des entreprises devraient s’y pencher. Moi, en tout cas, ça me donne envie d’en réécrire une.