Comment classer Cloud Atlas ou La cartographie des nuages de David Mitchell ? Car il nous propose pas moins de six histoires différentes dans des genres difficilement connectables. David Mitchell mêle roman d’aventure au bout du monde, huis-clos chez un vieux riche, enquête journalistique des années 70, péripétie de vieux roublard, dystopie et post-apo… Il va falloir que je rédige un article sur Raconte-moi des histoires sur ce roman qui est un petit bijou. Contrairement au film qui m’a perdue. Mais aujourd’hui, nous allons nous arrêter sur la partie qui m’intéresse : Neo-Seoul.
Une ville titanesque
Un des grands classiques des récits futuristes, c’est la ville titanesque et colorée où il semble toujours faire nuit. C’est le Gotham de Joel Schumacher où il fait toujours nuit mais jamais vraiment avec tous les néons et tags fluorescents. C’est le Midgar de Final Fantasy VII dont la partie futuriste se déroule toujours de nuit avec milles projecteurs qui balaient l’obscurité… Dans le film Cloud Atlas, les rares moments en extérieur ont ce goût-là. Mais en vérité, cette partie du roman ne nous raconte pas tant la ville gigantesque qu’une société fagocitée par les entreprises. On suit la vie de Sonmi-451, clone qui n’existe que pour servir les humain au coeur d’une cafétéria appelée Papa’s Song. J’y vois un plausible clin d’oeil à Un bonheur insoutenable avec cette faible variété de prénom suivi d’un chiffre pour nos clones et je poursuis.
Une histoire de réveil
Sonmi est donc une serveuse docile qui se nourrit de “savon”, une mixture à base de protéine… et de drogue pour empêcher les clones de réfléchir. Car oui, il ne s’agit pas de robots aussi donc on ne peut limiter leur réflexion que par la chimie. Le système de vie des clones est très codifié. Elles servent pendant douze ans dans une entreprise et, lorsqu’elles obtiennent leur douzième étoile, elles deviennent des “âmes”. En gros, elles ont accompli leur tâche, elles gagnent le droit de vivre parmi les humains. Cependant, Somni est un peu trop intelligente et commence à douter du système. Elle ne consomme plus son savon (toute ressemblance avec Un bonheur insoutenable…) et commence à percevoir certaines anormalités. Puis elle fuit avec un activiste qui se rebelle contre Nea so Copros, l’immense entreprise qui gère le pays. Somni va découvrir que les clones ne gagnent pas leur liberté comme promis. Non, ils sont tués pour être transformés en savon ou en nouveau clone. Ecoeurée, elle rédige un manifeste pour révéler la vérité. Elle finira exécutée. Mais ses paroles deviendront évangile puisque dans l’arc narratif suivant, post apocalyptique, elle est considérée comme prophète.
Les entreprises ont remplacé l’Etat
Dans cet univers, le postulat est le suivant : l’Etat a laissé place à une énorme corporation visant le profit. Pas mal de mots courants ont été remplacés par des marques. David Mitchell joue beaucoup avec le langage, surtout dans Néo-Seoul et la partie post apo. Un peu une tannée à lire mais c’est bien vu. Ainsi, un ordinateur est un Sony, une chaussure un Nike, un film un Disney… Du pur génie. Quand j’étudiais les relations internationales à la fac, on apprenait que les entreprises privées faisaient partie des acteurs de ces relations. J’ai en tête un récit dystopique qui raconterait un futur où il n’y a plus d’Etat mais des corporations. Le néo-Seoul sacralise la consommation. Papa’s Song n’est pas simplement une chaîne de cafétéria. C’est un véritable Etat puisque les clones y apparaissent dès leur naissance jusqu’à leur dernier voyage vers la mort. Ils obéissent à des règles, y ont une fonction. D’ailleurs, Papa’s Song m’apparaît comme l’archétype de la figure de pouvoir métaphorique, digne d’un Big Brother. Somni questionne peu à peu l’univers dans lequel elle évolue, incarnation parfaite du personnage de dystopie qui sent qu’il n’est pas ou plus à sa place et souhaite se délivrer de ses chaînes. D’ailleurs, la découverte de la vie extérieure représentera pour Somni une véritable claque.
Un patchwork dystopique
Pour écrire sa partie dystopique, je pense sincèrement que David Mitchell s’est beaucoup appuyé sur les classiques du genre (1984, Un bonheur insoutenable, le Meilleur des mondes, également) tout en réfléchissant à une évolution linguistique du genre. J’ai particulièrement adoré ce passage dans le roman… même si globalement, j’ai pris énormément de plaisir à lire toutes les parties et je vous recommande vraiment sa lecture. Même si le film vous a moyennement plu. Ce n’est pas toujours facile d’écrire un genre particulier en reprenant les codes sans se vautrer dans les clichés. Pour le coup, Mitchell y réussit parfaitement et je trouve que son Néo-Seoul bien décortiqué pourrait être le plan d’un écrit documentaire sur les dystopies. Ne manque que la dimension de l’effondrement… mais que l’on devine entre l’arc Somni et l’arc post-apocalyptique.
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