Je vous ai parlé télé-réalité mais j’aimerais élargir un peu le sujet en parlant de télévision dans les dystopies. Parce qu’un truc qui m’échappe, c’est qu’elle continue à être posée comme la pire menace alors qu’elle me paraît presque obsolète aujourd’hui. Deux points avant de poursuivre. La télévision est un outil donc veuillez excuser l’abus de langage quand je parle du “danger de la télé”, etc. Autre point : je n’ai plus la télé depuis environ 6 ans donc j’ai peut-être une vision un peu biaisée. Mais pas tant que ça…
Télévision au coeur de la manipulation de masse
Des dystopies qui placent la télévision comme un ennemi de la société, y en a un paquet. Albator est assez peu subtil sur le sujet, par exemple. Tout ce qui est télé-réalité dont j’ai déjà parlé. Beaucoup d’auteurs se lamentent de voir la population se réunir devant la grande messe télévisée. Dans un Bonheur insoutenable, ne pas regarder la télé est perçu comme quelque chose de particulièrement étonnant. Starmania, dans sa première version, est sous-titrée “la passion de Johnny Rockfort selon les évangiles télévisées”. Télé Capitale reste au coeur de l’intrigue, y compris dans ses versions les plus tardives. Mais là où j’ai froncé les sourcils, c’est en lisant Hunger Games. Ou Dry, plus récemment. Des romans récents et s’adressant à un public assez jeune qui reste à sacraliser la télévision, comme source d’information ou comme outil de soumission.
La télévision, un objet has been ?
Pourtant, je ne trouve pas la sacralisation de la télévision dans les romans les plus récents en phase avec l’évolution de la société. Je n’ai plus de télé parce que je consomme mes loisirs autrement et je suis dans les vieilles milléniales, j’ai 40 ans… La télé est en perte de vitesse chez les plus jeunes, cibles de romans comme Hunger Games, et pourtant, c’est la télé qui reste au centre du salon et diffuse les fameux jeux de la faim, sans que la compétition soit multi-média. D’ailleurs, j’ai vraiment été troublée de l’absence totale d’Internet dans cet univers-là. Tout comme dans La Sélection, d’ailleurs… Dans Divergente aussi mais il n’y a pas de télé non plus, alors… Le but ici n’est pas de lister qui a quoi mais de réfléchir à cette question essentielle : pourquoi la télé reste au coeur des foyers ?
Un moment de communion
Mais pour la communion, tout simplement. On va sortir un peu des dystopies pour se pencher un peu sur les films catastrophe les plus récents. Il est assez courant que des personnages filment des événements incroyables via leur smartphone. Et ces vidéos sont diffusés ensuite à la télé devant les yeux ébahis de la famille vivant la catastrophe à travers le petit écran. La télé n’est pas tant l’outil majeur de la manipulation qu’un catalyseur, un outil que l’on regarde en collectivité. A la limite, seuls les personnages esseulés vont consulter Internet pour avoir des informations. Je disais plus haut que la télé était l’outil et c’est précisément pour cela qu’elle reste le canal de communication de prédilection des dystopies. Elle n’est pas une technologie, elle est l’autel de la cérémonie.
Un besoin de simultanéité
Parce que la télé, outre la communion, permet la simultanéité. Si vous partez dans le récit d’une société dystopique où les individus s’informent sur le net, la mise en scène va être légèrement compliquée car vous ne pouvez pas mettre en scène un public attentif à ce qu’il va se passer. D’ailleurs, dans The Circle qui traite plutôt de technologie et réseaux sociaux, la tension naît du live. De nombreuses scènes nous montrent des spectateurs se réunissant en même temps pour suivre la vie de Mae. Cette audience massive est cruciale au moment du basculement, quand la popularité de Mae se retourne violemment contre son meilleur ami.
Tous doivent assister à l’événement en même temps
Qu’est-ce que la télé, finalement ? Une scène, tout simplement. Tous les personnages obtiennent l’information au même moment pour partager une émotion globale, un événement particulier. Ca peut être une bascule, un moment où le personnage doit frapper fort pour bousculer l’ordre établi. Dans La Zone du dehors qui décrit une société particulièrement avancée, Damasio ne peut pas zapper la télé car le procès de Captn doit être regardé collectivement. C’est l’héritage direct de l’alunissage qui est très ancré dans notre imaginaire collectif. Ou même du 11 septembre dans une ambiance plus dramatique mais que nous avons quasi tous vécu
Difficile de modifier nos imaginaires collectifs
Finalement, si les dystopies se projettent souvent dans le futur et aiment nous raconter des périls technologiques, il reste difficile de s’affranchir de notre sacro-saint petit écran, un outil particulièrement utile pour une prise de conscience commune d’un événement. Internet morcelle les contenus mais surtout nous offre la possibilité de les regarder quand on veut. Il y a bien sûr la possibilité de suivre des lives, comme dans The circle, toujours, mais pour le gros rebondissement de The circle, on nous explique bien qu’il s’agit d’une grosse conférence et que beaucoup la regardent en direct. Moi-même, alors que je réécris Technopolis, j’ai replacé la télé au coeur du système de soumission. Comme quoi…
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