Semiosis, recommencer une civilisation loin, loin

Dans Semiosis, Sur Burke imagine une humanité déracinée qui essaie de créer une communauté utopique et cohabite avec une flore intelligente

Depuis quelques années, la science-fiction aime nous raconter des histoires d’humains fuyant une planète Terre quasi morte pour s’installer ailleurs. Sur une lointaine planète qui aurait une atmosphère voire sur une arche flottante dans l’espace. Genre Interstellar, Elysium, Outsphere, Le sommeil des damnés… même The 100. Ce qui occasionne surtout la question d’un nouveau départ, d’une humanité plus mature qui veut éviter de répéter l’histoire. Et c’est précisément le principe de départ de Semiosis. Mais en prime, le roman va nous parler d’une nouvelle forme d’intelligence.

Sur une planète à la flore intelligente

L’histoire donc. L’humanité a fui une Terre à l’agonie et atterrissent sur une planète inconnue mais vivable. S’ils ne détecter pas de créatures humanoïdes, la planète est habitable, dotée d’une flore luxuriante et d’une faune variée. La communauté humaine essaie de se développer comme elle peut mais l’environnement est assez hostile. Les morts se multiplient. Comprenant que la flore est intelligente et qu’ils sont impliqués dans une guerre entre deux sortes de lianes, ils s’adaptent et leur communauté s’étoffe. On va donc suivre plusieurs générations de ces humains qui vont chercher le meilleur gouvernement possible. Y compris en période de guerre. Car des survivants d’une ancienne civilisation étaient planqués dans un recoin de la planète et se montrent assez hostiles.

Une forêt de bambous

Une cohabitation qui ne fait pas l’unanimité

Semiosis va donc explorer deux grosses pistes. La première est la confrontation avec une autre forme d’intelligence. J’insiste sur le mot forme. Dans les space operas à base d’intelligence extraterrestre, les êtres rencontrés ont certes mille et unes facettes. Mais on retrouve toujours un aspect humanoïde. Ils sont généralement bipèdes et portent quelques vêtements. D’ailleurs, dans Semiosis, les premiers colons découvrent une cité en verre abandonnée par une espèce de ce type. Ils les appelleront les Verriers et qui sera l’objet d’un véritable mythe. Or dans le village se trouve un immense arbre de type bambou qui, lui, est intelligent. Une fois son intelligence détectée, les Humains mettront en place des protocoles pour communiquer avec lui et l’intégrer peu à peu à la vie de la cité. Même s’il aura toujours des opposants. D’autant qu’il n’est pas doté de certaines caractéristiques humaines comme l’empathie et va découvrir l’humour tardivement. Son côté végétal et protéiforme lui permet de produire des fruits utiles pour l’intrigue. On peut retrouver ce côté confrontation avec une intelligence radicalement différente dans Solaris. Cette fois-ci, l’extraterrestre est un immense océan dont les motivations resteront à jamais obscures.

Forêt de bambou

Tentatives de gouvernements pacifistes

Jusque là, Semiosis sonne plus comme un space opera que comme une dystopie. Mais le propos est éminemment politique. L’autrice Sue Burke nous raconte une histoire à travers le temps et les générations. L’organisation de la communauté évolue donc au fil du temps et des péripéties que vit les derniers Humains. Ils décident d’appeler la planète Pax, en référence à leur volonté de vivre pacifiquement. Ils s’affirment farouchement égalitaristes et démocratiques, souhaitant régler les problèmes “à la mode de Pax”. Cependant, on est assez loin d’une utopie. Les premières générations sont écrasées par le poids d’être les derniers Humains. La première partie du roman, on suit les primo-arrivants qui sont littéralement bouleversés dès qu’un des leurs est touché par la mort… ce qui arrive assez souvent quand tu es sur une planète dont tu ne connais rien, finalement. La génération suivante porte le même fardeau et refuse donc de sortir de son petit cadre. Quand la jeune génération découvre une cité en verre parfaitement conservée et souhaite s’y installer, les deux générations se confrontent. Violence, coups, un viol tout à fait dispensable (encore) et surtout un meurtre. La jeune génération n’a plus la même inquiétude quant à la survie de l’espèce.

Une ville de verre

La nature humaine un peu moisie ?

Chassez le naturel, il revient au galop ? Il y a de ça. Quelques générations plus tard, un membre de la communauté commet des meurtres. Il y aura une explication médicale à tout ça. Mais la cheffe de la communauté va enquêter avec l’aide de l’arbre, nous offrant une partie whodunit assez bien amenée. Par la suite, les Humains, les Pacifiques, vont finalement rencontrer les primo-habitants, les fameux verriers. Mais la rencontre ne sera pas aussi heureuse que prévue. S’ensuit de fortes tensions entre ces deux peuples… et à l’intérieur de la communauté elle-même puisque certains veulent choisir la voie de la diplomatie pour régler le conflit quand d’autres veulent juste massacrer l’ennemi car ils ne croient pas la paix possible.

L’obsession de la fertilité

La communauté de Pax est très organisée, chacun ayant des rôles définis et chaque génération se plaît à adopter un signe distinctif. Ca peut être un bijou, une couleur de cheveux, un maquillage spécifique. Il y a naturellement un conseil que le bambou finira d’ailleurs par intégrer. Il y a également une question biologique. L’expédition de départ embarquait cinquante hommes et cinquante femmes, chacun sa chacune. Dans la génération suivante, se pose donc la question des couples et de la fertilité, certains garçons étant stériles. C’est ainsi que Sylvia, la jeune héroïne de ce second segment, ne peut pas épouser l’élu de son coeur car il ne pourra pas lui donner d’enfants. Ce qui sera l’un des ingrédients de sa colère et de sa révolte. Quelques générations plus tard, on découvre que certains hommes, fertiles, ont droit à aventures avec des femmes en couple dans le but de les fertiliser. On suivra ainsi pendant un segment le cas d’un homme qui a eu beaucoup d’enfants mais aucun officiellement à lui. Il est plus ou moins amoureux d’une femme mais ne peut l’avoir car elle est mariée à un autre. De toute façon, personne ne le considère comme un potentiel compagnon, juste un géniteur.

Le lagon bleu

Presque une IA

Semiosis est un roman surprenant tant il pose tout au long de ces chroniques de Pax plusieurs sujets qui animent l’univers dystopique. La confrontation à une autre forme d’intelligence, sans doute supérieure. Pas d’IA ici, certes. Mais on fait face au même processus d’Humains essayant de comprendre l’intelligence qui est face à eux et de déterminer si elle représente une menace ou non. Il y a également la question de la survie de l’Humanité, si essentielle qu’elle justifie quelques exactions et privations de liberté. Vous savez, ces gouvernements paternalistes qui calment leurs citoyens à grand coup de “vos gueules, moi, je sais ce qui est bon pour vous”. Ici, cette situation est littérale puisque le gouvernement est incarné par les parents, en opposition à leurs enfants. 

Un bon labo d’expérimentation démocratique

En plantant son histoire sur une planète quasi vierge, Sue Burke peut donc explorer différentes thématiques, différents modèles démocratiques et leurs limites. Elle part du principe que ces Humains sont tous, à la base, de bonne volonté et veulent sincèrement se débarrasser de l’horreur humaine. Pas de pollution, pas de guerre, pas de pauvreté. Et globalement, la vie sur Pax semble agréable, à quelques drames près. Notamment l’attaque d’aigles tambour, grosse menace pour la communauté. Alors est-ce que je vous recommande Semiosis ? Oui, sans hésitation. Le début du roman est un peu lent mais accrochez-vous, il est vraiment agréable à lire et j’ai particulièrement aimé ce concept d’arbre intelligent aux multiples talents. On sent que Sue Burke a bien travaillé son sujet, l’arbre n’est pas magique, tout est biologique. A découvrir !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *