En voici un sujet d’actualité. Le genre dystopique est bourré à ras bord d’IA, surtout quand on parle de technologie qui va vite dépasser son maître. Il faut dire qu’aujourd’hui, alors qu’on vit dans une ère bourrée d’IA en tout genre, le concept reste fumeux. Souvent, ce qu’on appelle IA n’est qu’un programme suivant une stricte logique. Typiquement les chatbots ne font que suivre des arbres de décision. La seule intelligence dans l’histoire, c’est celle de l’Humain qui a codé ça. Mais l’IA est partout, tout le temps. Et c’est précisément ce qui a inspiré Olivier Paquet pour son roman Les machines fantômes.
Les IA, petits soldats d’une guerre discrète
L’histoire. Dans un futur bien proche, après une grave crise économique dont on ne saura pas grand chose, Adrien est trader pour une mystérieuse entreprise à la Défense. Il manipule l’argent en faisant appel à différentes IA n’étant pas prévues pour ça à la base afin de profiter de leur puissance de calcul. Mais lorsqu’il montre sa méthode de travail à Hans, son nouveau collègue fort séduisant, il n’imagine pas qu’il va provoquer sa chute. Hans, de son vrai nom Joachim, va prendre en main cette puissance colossale pour suivre un but obscur. Basculant sur sa route le destin de Aurore, sa soeur, chanteuse pop sur le déclin, Kader, agent de sécurité, et Lou, une joueuse en ligne un peu hackeuse sur les bords. Menés par Adrien, tous ces personnages vont se dresser pour empêcher Hans/Joachim de réaliser son plan, à savoir…
Exploiter les puissances de calcul
Et bah, je ne sais pas. Je n’ai pas compris. Ce roman est riche. Trop riche, presque. Evidemment, en premier thème, on a la question de la technologie qui, tombant entre de mauvaises mains, peut devenir fatale. Hans/Joachim est un petit surdoué qui prend très rapidement cette puissance en main mais juste avant, elle est détenue par Adrien qui utilise cette force pour provoquer des crises financières et modeler la géopolitique selon les désidératas de ses commanditaires. L’action se passe dans quelques années mais le sujet est très actuel puisque les IA qu’Adrien utilise sont celles d’un serveur de jeu vidéo ou même celle de la RATP. Le concept est ultra-simple : exploiter la puissance de calcul non exploitée de chaque IA. Seule la présence massive de drones et un système de réalité virtuelle pour jouer avec les IA donne un aspect un peu plus futuriste mais le concept est simple à la base.
Un pouvoir immense
Le roman se plaît à nous illustrer l’omniprésence des IA, utilisées tour à tour par Adrien Hans/Joachim ou Lou selon leurs besoins. Jusqu’aux alertes sonores de la RATP. Ces petits génies de l’informatique peuvent tout se permettre, y compris pour des fins personnelles. Même faire fourcher des annonces pré-enregistrées. Adrien tire une grande satisfaction personnelle de son pouvoir, essayant de séduire Hans par ce biais. Ce même Hans-Joachim qui peut saboter le concert de la rivale de sa soeur ou encore Lou qui utilise ses talents pour tricher à un jeu en ligne et acquérir une certaine popularité au sein de sa communauté de joueurs.
Des vies artificielles
En parallèle, le roman illustre l’artificialité de nos propres vies avec des personnages un peu paumés, qui jouent beaucoup sur les apparences. C’est assez clair avec les personnages féminins évoluant sous pseudo mais qui se cachent “dans la vraie vie”. Des héroïnes spectaculaires qui sont, en fait, très éloignées de leurs avatars. On a aussi un écrivain qui écrit une histoire poignante de deuil qu’il n’a pas vécu et un transsexuel qui cache sa transition. Adrien, lui, fuit en se cachant derrière les frusques d’un SDF. Bref, chacun joue un rôle, planqué derrière un nom qui n’est pas le sien, un vécu bricolé pour faire genre.
Mais pourquoi vous agissez ?
Ok mais du coup, c’est quoi le propos exact ? C’est là que le bât blesse. Travailler sur l’IA et l’artificialité de nos vies qui se passent parfois bien plus dans des bulles virtuelles que dans la réalité, pourquoi pas. Ce n’est pas tout à fait neuf mais il y a toujours des zones à explorer et ici, l’idée d’exploiter la puissance non utilisée de n’importe quelle IA est franchement brillante. La représentation physique des IA à travers une interface graphique est plutôt bien vue aussi. Prévenir des dangers de tous ces programmes automatisées qui régissent nos vies, jusqu’aux annonces RATP sur les quais, c’est fin. Mais je n’ai rien compris aux motivations exactes des personnages. Notamment Hans et Adrien parce qu’on va pas se mentir, les autres ne servent environ à rien. L’écriture des personnages est d’ailleurs l’une des plus grosses faiblesses du roman, notamment les dialogues qui sonnaient faux sans que je sache trop pourquoi.
Un méchant aux visées altruistes ?
Revenons au premier chapitre, quand Hans découvre la puissance de feu d’Adrien et s’emballe, imaginant qu’il pourrait changer le monde avec ça. Il déroule une vision assez altruiste, une révolution qui mettrait à bas tous les privilèges. Mmm et je suis censée espérer qu’on arrête ce personnage-là dans son délire ? Je rappelle que son principal ennemi dans cette histoire, c’est un ex trader qui va bousculer l’ordre mondial sans broncher parce qu’on le lui demande. Alors que l’on sait qu’une précédente crise financière a traumatisé le monde. Sauf que les motivations de Hans ne sont pas si claires, finalement. Parce qu’il faut tuer le père. Littéralement. Un père agent secret qui a entraîné ses enfants à devenir des super soldats. Aurore a échappé à ça grâce à sa mère mais Joachim y a eu droit jusqu’à l’âge adulte, sa seule tentative d’évasion s’étant soldé par un échec. Donc Joachim, sous couvert d’altruisme, en profite pour régler ses comptes avec son père… et avec sa soeur ? Il est fâché contre elle ou heureux de la retrouver ?
Pourquoi utiliser des IA quand on est un bon manipulateur ?
Le message est très ambigu. D’autant plus ambigu que le rebondissement permettant d’enclencher le dernier acte repose finalement sur les capacités de Hans/Joachim à manipuler… les Humains. Grâce à des informations trouvées par des IA, certes, mais finalement, la plupart des rebondissements ont lieu par des réactions humaines, indépendamment des IA. Ce qui rend le message du roman particulièrement confus. On pourrait croire que l’auteur part du principe que les Humains sont faillibles et partiaux quand les IA ne le sont pas mais justement, les IA ont tout de même une certaine conscience et choisissent des camps. Hans veut soit-disant tout révolutionner mais finalement, tuer le père lui paraît tout aussi important voire même crucial. Et que vient faire sa soeur dans tout ça ? Pour le lecteur, ça nous permet d’avoir des infos sur Hans/Joachim, découvrir sa terrible enfance mais en vérité, Hans/Joachim n’a aucun besoin d’elle. Pourquoi l’impliquer ?
Un techno-thriller qui se lit tout seul
Le roman est bien écrit puisqu’il joue sur la pluralité des voix et permet effectivement de garder un intérêt. Malheureusement, une fois le livre refermé, reste une sensation de grande confusion. J’ai bien aimé les scènes de “bataille d’IA” mais finalement, la principale faiblesse de ce roman… ce sont les Humains. Leurs motivations sont bien trop obscures pour que je puisse vraiment m’impliquer dans leur quête et le seul qui semble avoir une intention un tant soit peu louable, c’est le fou dangereux qu’il faut arrêter. Sauf que je n’ai pas l’impression que ce soit voulu. Bref un techno-thriller qui se lit bien mais qui manque de solidité sur sa base.