Bel-Air, la dystopie holographique

Dans un futur dystopique, les individus se réfugient derrière des illusions virtuelles pour cacher la laideur du quotidien. Ready Player One ? Absolument pas ! Aujourd’hui, nous allons parler de Bel-Air de Del Estras, une dystopie qui se repose sur l’énorme fracture entre les classes. Et l’obsession du beau et du luxe de la classe dominante. Et comment on donne l’illusion aux plus riches que la planète n’est pas en train de crever.

Bel-Air, roman dystopique de Del Estras

Un Roméo riche en quête de sa Juliette pauvre

Un petit résumé pour commencer. Dans un futur peu reluisant, le jeune Qal, bien né, tombe amoureux d’Alicia, une fille des zones pauvres. La croyant en danger, il décide de quitter Bel-Air, son cocon parfait pour tenter de la sauver dans le Biotope, une zone qui sert littéralement de poubelle aux classes dominantes. Le périple de Qal va nous permettre de découvrir la vie d’abord à Bel-Air, zone riche et relativement préservée. Puis dans le Biotope avec, au passage, un adversaire qui me fait penser 100% à Immortan Jo de Mad Max Fury road

Une décharge à ciel ouvert

La Monarchie du futur

Je ne m’arrête pas particulièrement sur le résumé. Le roman est assez court et on peut vite basculer en zone spoiler. Ce qui m’intéresse par contre, c’est l’univers que Del Estras nous propose. En effet, mes dystopies préférées sont les sociétales avec une organisation très stricte des communautés. Ici, on est clairement dans une sorte de nouvelle Monarchie où les nantis ont tout, surtout les postes à responsabilité. Le début du roman s’appesantit surtout sur cette classe en nous racontant son quotidien. Leur beauté, obtenue par manipulation génétique, leurs fonctions. Même si, en vérité, je suis pas certaine que leurs fonctions aient une quelconque importance. Mais surtout, on va découvrir ce qui fait le sel de la vie des nantis : les technologies holographiques. 

Bioshock Infinite

Vivre dans l’illusion

Dans cet univers dystopique, les ressources et la place manquent. Pour ne pas nuire au bien-être de nos amis les nantis, la technologie prend le relais. En guise de cache-misère, nous avons donc les hologrammes. Ceux-ci fonctionnent de deux façons différentes : d’abord la présence holographique, ils se projettent un peu à droite à gauche, tels des Mélenchon du futur. Surtout aux réunions, ils se présentent peu ou pas sur leur lieu de travail. Ils en profitent pour se coller du maquillage holographique sur leur projection pour être encore plus beau. Mais surtout ils évoluent dans la vie avec des lunettes holographiques sur le nez pour voir la vie en rose. Et voir leur univers en beaucoup plus grand. Ce qui affecte, par exemple, leur démarche qui devient toute petite “des pas de geisha”, le cerveau s’adaptant à ce qu’il voit plutôt qu’à la réalité.

Lunettes holographiques

Un aspect factice

Del Estras sépare vraiment Bel-Air, qui ressemble à une véritable bulle, et le reste du monde. Un point intrigant dans le roman, c’est l’aspect un peu désincarné des personnages. Tout semble factice. Tout ne semble être qu’illusion et manipulation, les personnages semblent vivre un peu leur vie sans trop comprendre ce qu’il se passe. Les pauvres qui parviennent à intégrer Bel-Air via des Transfers sont particulièrement archétypaux, se pliant sans discuter à ce qu’on leur impose. Atteindre le paradis mais à quel prix ?

Les paradis artificiels

Des Nantis totalement déconnectés de la réalité

Et là, on arrive à mon bémol sur ce roman. C’est très sexualisé avec un male gaze assez fort. Alors je sais que je suis sensible là-dessus et que dès qu’il y a une scène de cul assez dégradante pour une femme ou toute notion de violence sexuelle sur une femme, j’ai du mal. On est loin du niveau de Bonheur ™ qui m’a fait abandonner le roman rapidement mais ça m’a un peu fait plisser le nez deux ou trois fois. Je trouve également que l’univers aurait mérité d’être un peu plus creusé, un peu plus exploré. Les idées sont très bonnes et la violente dichotomie entre les Nantis et ceux qui ont survécu dans les limbes des ordures est un thème que j’affectionne particulièrement. Et pour le coup, la déconnexion totale des Nantis vs la “vraie vie” est extrêmement bien pensée. Les personnages se trouvent limite en panique dès qu’ils se retrouvent privés, pour une raison ou pour une autre, de leurs lunettes holographiques.

L'horreur de la vraie vie

Un roman tout à fait d’actualité

Bref, un roman qui propose un parti-pris intéressant et qui a un écho particulier en cet été d’effondrement écologique. Alors que nos milliardaires se font des petits trips dans la stratosphère, la planète brûle ou se noie. L’univers est riche mais la brièveté du récit fait parfois entrer beaucoup d’informations en peu de temps, ce qui donne un peu le vertige. Mais ça reste une excellente métaphore de l’univers de Bel-Air où le gigantisme est réduit à un mouchoir de poche. Bref, une bonne métaphore de la caverne de Platon, version dystopique. Sans oublier la critique du pouvoir attribué de façon héréditaire à des gens qui n’ont aucune compétence. Que j’aurais aimé voir creusée un peu plus. Ca et la figure de l’antagoniste, un peu trop balayée à mon goût.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *