Enfin, j’ai deux minutes à consacrer à ce blog, ouf. Je vais vous parler de la première dystopie à laquelle j’ai été confrontée. Et non pas que j’ai lue, vous allez voir la nuance : Ravage de Barjavel. Et sur le coup, j’ai pas aimé… du tout.
Découverte au collège
On est con quand on a 14-15 ans, disait presque Rimbaud. Mon cul posé sur une chaise inconfortable, je découvrais avec mes camarades un extrait du roman sus-nommé. Une histoire de viande autour d’une broche géante où l’on coupait une face régulièrement. Oui, moi aussi, ça me fait penser à un kebab. Donc nous lisions ça et nous étions un peu en mode “wuuuut ?”, ne nous sentant pas très intéressés par cette histoire de viande qui se reconstitue. Mais en grandissant, les goûts évoluent, la madeleine amère flatte soudain notre palais et nous remplit d’allégresse et de plaisir… Et ce fut pareil avec Ravage. Que j’ai fini par lire après avoir dévoré “La nuit des temps” de ce même Barjavel, roman prêté par mon cousin.
Et l’électricité s’évanouit
Ravage, c’est quoi ? Une dystopie, évidemment, critiquant la société récréative et surtout déconnectée de la nature. L’histoire : en 2052, François, jeune “campagnard”, se rend sur Paris récupérer les résultats de son concours de chimie agricole. Il en profite pour revoir son amie d’enfance, Blanche. C’est lui qui mange la viande dont je vous parlais tantôt. Blanche, elle, est happée par un tourbillon de glam’ et de paillettes, une carrière de mannequin-chanteuse se trace devant elle. On a ici un petit triangle amoureux : le producteur de Blanche est amoureux d’elle et décide d’évincer François en le faisant éliminer du concours. Mais chut, c’est le grand soir pour Blanche, elle va chanter à la télé. Alors qu’elle ouvre la bouche pour entamer son chant, l’électricité disparaît.
Et la technologie disparut
Et c’est le chaos le plus total. La disparition de l’électricité déclenche des catastrophes en série. Les voitures volantes viennent gentiment s’écraser sur les villes en feu. Les habitants, trop dépendants à l’alimentation chimique, dont la fameuse viande, se voient soudain dépourvus. Le feu se répand, la maladie aussi. François, Blanche et des gens qu’ils ont ramassés au passage, décident de migrer vers le sud, dans le village natal de François. Evidemment, l’épopée ne sera pas sans heurts. Notre troupe fait face à de nombreux dangers mais aussi la faim, la peur, et la folie. A la fin [saute au prochain paragraphe si tu ne veux pas savoir], François devient le patriarche d’une petite société naturaliste où le bonheur est assuré par ce retour à la nature. Mais le malheur n’est jamais très loin. Un jeune garçon crée un petit moteur qu’il présente à François, patriarche centenaire mais suite à une altercation, le tue. La petite communauté sera reprise en main par Paul, un disciple de François.
Retour à la terre
Ce qui m’avait marquée, c’était cette dichotomie entre la société électrique moderne qui brime les gens (le producteur) et le retour à la terre rendant heureux. On est à nouveau ici dans cette idée que le progrès amollit les gens, cet abrutissement qu’on retrouve dans 1984, Fahrenheit 451 ou Le meilleur des mondes. Mais aussi dans des oeuvres comme Albator ou Idiocracy. Un thème qui revient très (trop) régulièrement actuellement dans nos conversations à base de : la télé/Internet/les réseaux sociaux/le smartphone enferment les gens et les abrutit. Discours qui m’agace toujours un peu. Ce ne sont que des outils. Ce ne sont pas eux en soi qui abrutissent mais l’usage qu’on en fait. Grossièrement, je peux allumer ma télé pour regarder France 5 ou Arte ou Hanouna : même outil mais pas mêmes conséquences. Cependant ici, ce n’est pas tant le progrès que la déconnexion à la terre que Barjavel traite. Quand on sait que le roman a été publié en 43, en plein régime de Vichy qui prônait justement ce retour au sources, on peut se poser des questions quant à l’orientation pétainiste de l’oeuvre. Rassurez-vous, l’Etat Français s’en prend pour son grade aussi.
L’audace de ne pas tout expliquer
Dernier point et le plus important selon moi : la disparition de l’électricité n’est jamais expliquée. On sait qu’il y a une guerre en Amérique mais on ne sait pas avec certitude si c’est ce qui a déclenché la disparition de l’électricité. Je trouve ça non seulement très cool mais aussi assez couillu. Dans nos oeuvres modernes, on nous explique tout. Jusqu’à ce que l’explication devienne presque plus insensée que l’événement d’origine. Exemple : Star Wars. Dans la trilogie originale, le monde est régi par la force. Ca existe et personne ne discute ça. Mais dans la 2e trilogie (épisodes 1,2 et 3), on vient nous mettre une couche de science là-dessus. Un truc bien trop concret pour coller avec la notion de force. Et c’est là qu’on touche du doigt l’idiocracy, finalement. On ne laisse plus au spectateur des blancs à combler, tout est expliqué. On te prend par la main pour te raconte une histoire mais regarde bien là où on te dit de regarder, surtout; y a rien à voir sur les côtés. Ne pas tout expliquer ne doit pas être une justification à l’incohérence mais laissez-nous juste un espace de rêve.
Quand Paris morfle…encore
Pour terminer, Barjavel évoque Ravage dans un autre roman, Le voyageur imprudent publié juste après la même année : un voyageur du temps se rend en 2052 pour comprendre ce qu’il s’est passé… et n’obtiendra aucune explication supplémentaire. A noter également qu’on retrouve quelques thèmes chers à Barjavel, notamment l’idée d’une guerre totale entre deux super forces (notamment La nuit des temps dont je parlais) mais aussi l’attaque un peu gratuite d’un Paris qui n’avait rien à voir dans l’histoire dans Une rose au paradis (qui reprend également l’idée d’un couple que l’on tente de sauver de l’apocalypse de la guerre qu’on retrouve dans La Nuit des temps). En fait, je crois qu’on touche ici à ce que j’aime le plus dans Barjavel : il réécrit peu ou prou la même histoire en changeant quelques paramètres… Et ça marche.
7 thoughts on “Ravage de Barjavel, une madeleine au goût amer”