Je ne suis pas très copine avec les fictions françaises, en général. Essentiellement parce que j’ai du mal à comprendre à ce qu’ils disent. Et cette façon de parler par punchlines ou grandes tirades alors que personne ne parle comme ça. Mais il serait injuste de mettre tout le monde dans le même panier car nous avons de belles pépites dont Bunker Palace Hotel et son étrange esthétique bétonnée. Ou encore Delicatessen de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet. Une dystopie avec un cachet incroyable dont je vais vous parler aujourd’hui et spoiler : j’ai adoré.
Un étrange immeuble dans une France dévastée
De quoi parle Delicatessen ? Dans un futur indéfini, la France traverse une terrible crise. L’histoire se déroule dans un petit immeuble mené de main de maître par le boucher Clapet. Parmi les locataires, on va avoir une famille avec un père chômeur qui se retrouve acculé pour payer son loyer, son épouse, la belle-mère et ses deux enfants. Nous aurons également deux fabricants de boîte à meuh, un dresseur de grenouilles, un couple avec une femme qui passe le film à tenter de se suicider de façon incroyablement compliquée. Et ça foire. Mais aussi la famille Clapet avec la compagne sexy du boucher et sa fille, Julie. Dans cet immeuble passe parfois le facteur aussi. Et arrive Louison, élément modificateur.
Manger le concierge
Louison est donc un ancien clown qui répond à une annonce d’homme d’entretien pour l’immeuble. Au début, le boucher n’en veut pas car il le trouve trop maigre mais il va finir par accepter et Louison va devenir un peu l’homme à tout faire. Sauf qu’en réalité, on l’apprend dès le début du film, les concierges finissent toujours… en rôti ! Donc l’intrigue tourne essentiellement autour de cette question essentielle : comment Louison ne va pas finir en steack.
Une histoire de misère
Sous le prisme de l’humour, Jeunet nous peint donc une France ravagée par la misère. Le journal s’appelle “Les temps difficiles”, le personnage du père de famille souligne en creux la difficulté de trouver un emploi. Et la survie passe désormais par le massacre d’innocents pour les manger. Fait parfaitement connu de tous. Y compris de Julie, amoureuse de Louison qui va tout faire pour le sauver. Y compris contacter les Troglodytes, les résistants de l’histoire qui vivent dans les égoûts. On ne sait pas exactement contre quoi ils luttent ou quelle est leur cause, ils sont finalement juste “l’ennemi” dont on annonce la mort à la radio.
Un immeuble comme micro-Etat
Delicatessen ne peint pas tellement une société post-affrontement. L’histoire n’a qu’une seule toile de fond : cet immeuble isolé de tout et les égouts juste en dessous. Le monde extérieur existe à travers les médias (radio et télé) et cet immeuble un peu déconnecté de tout fait bien partie d’un territoire plus vaste mais on ne sait pas beaucoup plus. Pourquoi une telle misère ? Que représentent les troglodytes ? Qui est au pouvoir et quel est l’état démocratique du pays ? Mais est-ce si important ? L’immeuble est un Etat en tant de crise avec son despote parfois effrayant dont on ne sait jamais quel est le fond de sa pensée. Ceux qui s’arrangent comme ils peuvent pour survivre, de la femme qui joue de ses charmes au père prêt à un gros sacrifice pour faire manger sa famille.
Des gueules en archétype social
De prime abord, Jeunet et Caro nous proposent des gueules plus que des personnages mais ce sont bien plus des archétypes. La dernière partie du film avec, notamment, l’intervention des troglodytes, a un goût de révolution et de dévastation. Chaque gueule est un archétype, des bourgeois désargentés aux vieux garçons ouvriers en passant par le marginal un peu effrayant qui se débrouille mieux que ceux occupés à sauver les apparences. Et puis il y a Louison et Julie, incarnant chacun la poésie et la douceur au milieu de la dévastation.
Un film profondément poétique
Parce que c’est ça, la magie de Delicatessen. Pas besoin d’écrans géants, de pollution ou de voiture volante pour raconter une dystopie. Ici, la dystopie est plus un prétexte à une série de portraits parfois drôles, souvent touchants. Ce film déborde de poésie et de jolis moments. Au pays de Barjavel, on a tendance à considérer tout ce qui est anticipation comme un sous-genre un peu raté. Il est vrai que certaines dystopies françaises comme Osmosis, Ad vitam ou Trepalium, me donnent souvent l’impression de ne pas réfléchir à leur propos. On va filmer dans des décors en béton avec un peu de néon et hop, on dit que c’est le futur. Jeunet et Caro plantent leur dystopie dans un décor qui fleure le vieil immeuble un peu décati. L’effet de style n’est pas là… et c’est justement ce qui rend cette dystopie effroyablement réaliste. L’histoire qu’on nous raconte, ça pourrait arriver dès demain.
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