La semaine prochaine va sortir sur les écrans une étrange dystopie italienne, Another end. Dans une ambiance un peu poisseuse, on découvre une société identique à la nôtre. A un détail près. Il est possible de télécharger la personnalité d’une personne morte dans le corps d’un ou d’une hôte histoire de dire au revoir proprement. Un peu flippant…

L’impossible deuil
Sal est au désespoir. Sa femme Zoe est morte dans un accident de voiture et depuis, il survit tant bien que mal. Plutôt mal d’ailleurs puisqu’il semble coutumier des tentatives de suicide. Pour la dernière, il est sauvé in extremis par Ebe, sa soeur. Qui travaille justement pour la société qui propose l’expérience Another End. Persuadée que pour sauver son frère, elle doit faire revenir Zoe, elle ira plaider sa cause auprès des parents de la défunte. Et Zoe revient… mais dans le corps d’une autre femme.

Le voisin un peu bizarre…
En introduction, le film nous présente le fonctionnement de cette technologie. Sal se rend chez sa voisine qui a un problème de tuyauterie. Littéralement, je ne suis pas en train de faire une métaphore scabreuse. Alors qu’ils prennent le thé, on voit des hommes entrer dans l’appartement, déshabiller le mari de la dame visiblement endormi et repartir avec le corps. La voisine dépose un baiser sur le front du corps et c’est parti.

Se réveiller dans un hangar
Celui-ci est embarqué dans une ambulance qui fonce vers un quartier futuriste. Sur son trajet, on voit plusieurs ambulances de la même société converger vers un immense immeuble. Les corps sont rangés dans un immense hangar. Puis on les voit se réveiller à tout de rôle. A ce moment du film, on ne comprend pas vraiment ce que sont ces entités qui s’évanouissent à heure dite pour pouvoir être stockés en rang d’oignon. Clones ou androïdes qui viennent se recharger la nuit ?

Une âme dans un corps différent
Zoe est donc ramenée à la vie. Une décision qui semble imposée à Sal. Le retour se fait sous certaines conditions. D’abord, il faut rejouer la scène post-accident. Le mort ne doit pas savoir qu’il est mort sinon, ça le ferait disjoncter, en quelques sortes. Sal se retrouve donc dans une fausse ambulance, fausses blessures sur le visage, à jouer une scène dans laquelle il doit rassurer sa femme. Sauf que celle qui est allongée dans l’ambulance, si elle a les souvenirs de Zoe, n’est pas Zoe. La personnalité de Zoe a été implantée dans une femme qui loue son corps pour être hôte.

Qu’est-ce qui fait l’individu ?
On retombe ici sur l’interrogation classique des dystopies qui jouent sur la notion de résurrection ou d’éternité : qu’est-ce qui fait l’identité d’un individu ? Son corps ou sa personnalité, voire la masse de ses souvenirs ? Si Another end ne perd pas de temps à nous expliquer le processus de collecte des souvenirs, on retrouve ce processus dans plusieurs dystopies : le Neuromancien, Altered Carbon, Mickey 17. Si dans le Neuromancien et Mickey 17, le corps réintégré est à l’image parfaite de l’original, cf. la vanne du bouton à percer dans Mickey 17, Altered Carbon floute déjà plus les lignes sur le sujet. On a possiblement des corps augmentés, comme celui de Myriam, mais surtout la possibilité de s’incarner dans un autre corps. La fille de Myriam vole un de ses corps de sa mère, par exemple. Takeshi, lui, va s’incarner dans deux corps assez éloignés de son corps d’origine, en fonction de ce qui est dispo au magasin. A noter que dans Altered Carbon, la personnalité semble inaltérée indépendamment du corps alors que dans Mickey 17, chaque version a sa propre personnalité.

Un ultime au revoir
Evidemment, le film va s’attarder sur le regard porté sur cette nouvelle version de Zoe. Comment chaque personne va accepter cette nouvelle version de la défunte, ultime rencontre avec elle avant de la voir disparaître à jamais. Car on nous explique que l’expérience ne peut durer trop longtemps car, à force, les souvenirs du mort ou de la morte polluent l’inconscient de l’hôte. Ainsi, on voit l’hôte de Zoe se réveiller en sursaut dans le hangar après avoir cauchemardé de l’accident qui a tué Zoe.

Quelle femme intéresse vraiment Sal ?
Le film s’attache à brouiller les lignes. D’abord dubitatif, Sal finit par s’attacher à cette version de Zoe et refuse de la laisser partir. Sans que l’on sache vraiment s’il est retombé amoureux de sa femme ou de l’hôte qui aurait la même personnalité que Zoe. Dans la troisième partie du film, Sal retrouve la femme qui a joué l’hôte un peu par hasard et va commencer à la suivre mais je n’en dirai pas plus. Déjà parce que c’est une dimension plus psychologique qui m’intéresse moins dans le cadre de cette chronique. On apprend néanmoins que dans ce monde, les hôtes sont suivis à la trace par l’entreprise qui propose l’expérience Another end.

La dystopie, un bon style pour parler du rapport à la mort ?
La dystopie est-elle un bon medium pour questionner notre rapport à la mort ? Absolument. Soit via la quête d’éternité avec des oeuvres déjà citées plus haut. Soit dans la question du deuil. Il y avait notamment un épisode de Black Mirror où une femme, qui avait perdu son mari dans un accident de voiture, utilisait un service simulant des échanges de message avant de lui envoyer un clone du mari. C’est la question centrale de la mort et du deuil. Le peintre Munch a réalisé plusieurs peintures mettant en scène un mort ou un moribond serein entouré de ses proches éplorés. Parce que le mourant est soulagé d’arriver à la fin de ses douleurs alors que celle de ses proches commence. La course à l’éternité est un délire égotique tandis que faire revenir un être aimé qui nous manque trop touche à notre essence d’être humain.

Est-on prêt à laisser partir ceux que l’on aime ?
Another End est un film assez subtil. Nonobstant un passage dans une boîte interlope à base de strip tease et danses privées que j’ai trouvé un peu cliché. Il n’y a pas d’accélérations, pas d’éclats. C’est un film que l’on pourrait qualifier de lent, je suppose. Ca ne plaira pas à tout le monde, je me doute, mais il ne cherche pas à être impressionnant. Il essaie plutôt de nous tendre un miroir. Que ferions-nous à la place de Sal ? Comment survivre à la mort de l’être aimé alors qu’on a encore toute la vie devant nous. Comment laisser partir ceux que l’on aime ? Car Sal va rencontrer différentes personnes ayant recours à Another end. Notamment sa voisine du dessus qui a perdu son mari et sa fille dans un incendie. Mais surtout, le film laisse une question en suspens : la technologie nous permettra-t-elle un jour de faire notre deuil ?

Une photographie sublime
Another end m’a touchée. Déjà, je dois souligner que la photographie est superbe, la prise de vue très travaillée. Fait amusant, le film a été tourné en différents endroits notamment la Défense. Ayant travaillé un an et demi là-bas, ça m’a un peu perturbée même si les lieux étaient bien choisis. Notamment le Japan Bridge. Autre point sur lequel je n’ai pas trouvé d’explications : les langues. Tout le monde parle anglais sauf Sal et sa soeur qui se parlent entre eux en… au moins italien et espagnol, j’ai reconnu les deux. Ce qui donne un moment un peu absurde où un acteur mexicain, Gael Garcia Bernal, échange des phrases en italien avec Bérénice Bejo, actrice franco-argentine.

Allez le voir, j’aimerais quelques explications
J’aimerais qu’Another end fonctionne bien car j’ai envie d’avoir quelques explications de texte même si je doute un peu. J’ai assisté à une avant-première totalement par hasard et je n’en ai pas trop entendu parler. Le festival de Cannes monopolisant en plus l’attention des cinéphiles. Mais je vous le conseille. Rien que pour sa photographie très inspirée.
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