Enfin, presque. La semaine dernière, je vous parlais de Another End, une dystopie nous présentant une technologie permettant d’incarner les souvenirs d’une personne dans le corps d’un hôte, histoire de faire ses au revoir à la personne aimée. Quand j’ai vu ce film, j’ai un peu bugué car je lisais un livre à la thématique très proche : La femme parfaite de J.P. Delaney. Sauf que cette fois, le corps qui accueille les souvenirs est un cyborg.

Renaître dans un corps artificiel
L’histoire. Abby se réveille à l’hôpital. Groggy, elle essaie de comprendre ce qui a pu lui arriver. Un accident ? Oui. Sauf que celui-ci a eu lieu cinq ans plus tôt. Mais surtout… Abby n’est plus vraiment Abby. Elle est un androïde ressemblant parfaitement à Abby dans lequel on a injecté les souvenirs de cette dernière. Cette prouesse technique a été réalisée par Tim Scott, époux d’Abby et génie de la tech.

Enquêter sur la disparition de son alter-ego
De retour dans la belle demeure de Tim, Abby va devoir apprendre à accepter sa nature de robot. Elle ne pourra pas, par exemple, faire du surf, la grande passion d’Abby l’humaine. Oui, si la technologie a réussi à trouver un moyen d’implanter des souvenirs dans un robot, elle n’a pas trouvé celui de les rendre parfaitement étanches. Enfermée chez elle, l’androïde va découvrir petit à petit qu’Abby avait ses petits secrets. Et que sa disparition n’était peut-être pas un simple accident. En tête de la liste des suspects : Tim lui-même.

Un même esprit mais une personnalité un peu différente
Je ne vais pas m’attarder sur la question de l’âme des robots et de l’identité d’un cyborg à qui on aurait injecté les souvenirs d’une personne. Je l’ai fait dans mon article sur Another End. Notons ici que nous sommes dans la même tendance que Mickey 17 : si Abby cyborg récupère les souvenirs de Abby l’humaine et arrive rapidement à adopter le mode de pensées de son modèle, elle commence à développer une certaine autonomie. Jugeant même durement les choix de l’originale.

Le trope du génie de la tech insupportable
La femme parfaite étant un thriller, on va avoir quelques ingrédients intéressants à analyser. Le premier, la figure du génie de la tech. Tim est un CEO inspirant, brillant, exigeant. Un parfait trou du cul. Je commence à ne plus supporter le trope du CEO à la Musk. Déjà parce que Musk est une imposture et on a bien tous pu le constater. Mais surtout, j’ai énormément de mal avec les personnages odieux “mais c’est un génie alors on accepte”. Je suis déjà persuadée que le génie en tant que tel n’existe pas. Mais surtout y avait des moments, dans le roman, où je rêvais que quelqu’un dise merde à Tim. A une époque, la figure du CEO autoritaire était une copie plus ou moins assumée de Steve Jobs. Et bien cette époque, fugace, me manque.

Une double narration
Cependant je ne suis pas la seule à détester ce genre de profil. J.P. Delaney n’a pas l’air très fan non plus. Je traitais Tim de trou du cul dans le paragraphe précédent, ce n’est pas gratuit : il est littéralement écrit comme ça. Le roman va suivre deux trames. Celle d’Abby l’androïde qui va peu à peu s’intéresser à ce qui a pu arriver à Abby l’Humaine et essayer de résoudre l’énigme de sa disparition. A noter que cette partie est rédigée à la deuxième personne du singulier. Un peu perturbant au départ. Et l’autre, celle d’un récit d’un employé de la boîte de Tim qui raconte la romance initiale entre Tim et Abby, artiste en résidence dans la fameuse boîte. Là, encore, le point de vue est original puisque la romance est racontée par le biais de bruits de couloirs, de ragots. On découvre comment Abby fut celle qui a dit merde à Tim avant de, peu à peu, rentrer dans le rang. La femme parfaite reste avant tout un thriller dont il faut bien nous donner des pièces de puzzle pour résoudre l’enquête.

De l’utilité du robot avec souvenirs
Autre point intéressant : l’utilité d’Abby cyborg. Dans Another End, l’implantation des souvenirs d’une personne défunte dans un corps hôte sert l’endeuillé à faire ses adieux. Alors que dans Altered Carbon ou le Neuromancien, l’implantation des souvenirs dans un nouveau corps sert à atteindre l’immortalité. Dans La femme parfaite, le roman emprunte d’abord une voie à mi-chemin entre ces deux raisons. Tim ne peut pas faire son deuil donc il crée cette Abby cyborg. Il y voit aussi une réussite professionnelle et le premier pas vers l’immortalité. Mais le roman va nous donner une autre raison pour le retour d’Abby : en injectant les souvenirs d’Abby dans ce robot, il espère que ce dernier va pouvoir enquêter et retrouver la vraie Abby puisqu’il est persuadé qu’elle n’est pas morte.

Une version plus docile que l’originale
Pourtant, cette Abby-robot a des différences avec l’Abby réelle. Outre le fait qu’elle est connectée à Internet et peut faire des recherches instantanément, elle n’a pas tous les souvenirs d’Abby. A son réveil, Tim lui explique qu’elle doit se recharger toutes les nuits et implémenter de nouveaux souvenirs. Parce qu’il ne pouvait pas tout charger en même temps. Curieusement, il semble lui avoir implémenté en priorité les souvenirs heureux. Le livre commence par Abby-robot rêvant de la demande en mariage idyllique que lui avait faite Tim en rêve. De fait, cette nouvelle Abby est plus disciplinée que l’ancienne. Elle doit rester à la maison, ne peut plus surfer. Elle s’applique à cuisiner de bons petits plats et s’occupe de Danny, le fils autiste de Tim et Abby. De la même façon, si l’Abby humaine était artiste, l’Abby robot ne s’intéresse à aucun moment à cette caractéristique de son originale.

A qui appartient légalement le robot ?
Dernière dimension, pour le coup très originale, que nous propose La femme parfaite : la bagarre juridique. L’existence d’Abby-robot est révélée au public de façon accidentelle. Sauf que la vraie Abby a une famille et que celle-ci n’est pas d’accord pour laisser faire Tim. La famille Cullen porte plainte en questionnant le consentement d’Abby humaine. Aurait-elle consenti à ça ? D’autant que si cette Abby-robot existe, c’est parce qu’Abby avait lancé un projet artistique autour de son double robotique. Ce qui pose aussi la question du droit intellectuel. Cette dimension juridique nous permet de réaliser que l’Abby-robot a conscience de sa potentielle mort. En effet, si Tim ne voit cette bataille juridique que comme une contrariété, Abby saisit tout l’enjeu. Si les Cullen gagne, elle sera purement et simplement effacée.

Une femme modelée selon les désirs de son mari
Plus qu’une dystopie, La femme parfaite est donc un thriller. Facile à lire, très bonne lecture d’été, selon moi. Le suspense est bien amené, les points de vue proposés intéressants. J’ai trouvé la fin un peu confuse et tirée par les cheveux mais ok. La dimension de la femme parfaite modelée par son homme m’a aussi un peu évoqué Don’t worry darling avec cette vision très masculine de la femme belle, douce et, surtout, soumise. Le roman propose littéralement une lecture psychanalytique avec le syndrome de Galatée, soit le sculpteur Pygmalion tombé amoureux fou de sa création. A noter que je n’ai trouvé de traces de ce syndrome nulle part sauf dans ce roman.

Une histoire de masculinité toxique
Plus que de nous interroger sur la nature des androïdes, J. P. Delaney nous propose une variation techno des amours toxiques entre un homme qui a tous les moyens et les pouvoirs et une femme retrouvée au piège malgré sa forte personnalité. D’ailleurs, l’auteur ne s’est pas embarrassé de lourdes explications scientifiques pour nous expliquer la collecte de souvenirs. Et vu comme parfois, trop d’explications tue la suspension consentie de l’incrédulité, ma foi…