Après tout, la dystopie nécrophile

Dans Après tout, Ian Soliane explore les liens entre un homme endeuillé et l’androïde qui a l’apparence de sa défunte femme. Malaisant.

Quoi ? Encore une dystopie à propos de la perte de l’amour d’une vie et sa substitution par un androïde ? Hé oui. Si, pour Another End et Une femme parfaite, leur découverte simultanée fut un hasard, pour Après tout de Ian Soliane, j’avais choisi à dessein. En trouvant ce petit livre sur les rayons de ma bibliothèque municipale, je me suis dit que ça enrichirait mon exploration de ces histoires où un endeuillé remplace un être aimé par un ersatz ayant reçu les souvenirs d’une autre personne. Après, qu’il y a-t-il de plus humain que le deuil ?

Claire est une jeune quadragénaire à qui tout sourit. Une artiste peintre qui vit avec un écrivain, qui a un fils aimant. Mais sa vie bascule suite à un rendez-vous médical qui lui annonce la terrible nouvelle : elle est atteinte de la maladie de Charcot. La mort l’attend à plus ou moins brève échéance. Et d’ailleurs, quand elle meurt, son mari la remplace par un androïde clone. Une version de le défunte un peu plus frivole, qui va peu à peu prendre toute la place.

Un androïde qui ressemble à Scarlett Johansson

On retrouve donc dans Après tout cette notion d’amour par-delà la mort. Tout comme dans Another End, on ne va donner aucune explication scientifique au comment ça marche. On sait que les souvenirs de Claire sont implantés dans l’androïde grâce à des carnets qu’elle écrivait. Mais à la limite, peu importe. Le roman va se dérouler sur deux timelines : celle du présent où l’écrivain vit avec l’androïde et celle du passé où on voit la dégradation de Claire au fur et à mesure que sa maladie progresse. Une façon de nous montrer l’attachement sincère de l’écrivain à son épouse car…

Une femme malade à l'hôpital

Ce roman, qui souhaite explorer la question de l’amour et du deuil vire vite à la masculinité toxique. Et je ne suis absolument pas sûre que ce soit fait exprès. Ca donne une dimension intéressante à Après tout non pas pour ce qu’il dit mais sur ce que semble présumer l’auteur, finalement. Déjà, parlons sexe. Enfin, moi, je n’avais pas forcément envie d’en parler mais ce court roman (124 pages au format poche) en parle beaucoup. Parce que l’écrivain fornique beaucoup avec son androïde. Qui le demande, hein. Elle réclame même une sodomie à un moment. Les auteurs coincés en phase anale, mes préférés. Ils baisent tout le temps. Si fort qu’à un moment, Claire a une diode qui clignote dans son oeil, oups. Point curieux : l’écrivain précise qu’avec son épouse, ils n’étaient pas particulièrement portés sur la chose. C’est marrant, ça ne me sautait pas aux yeux…

Jouer avec un sexbot dans un bain

L’autre point, c’est la masculinité toxique. L’écrivain est complètement toqué de cette Claire. Dans les premiers temps après réception de l’androïde, il ne sort quasiment pas de chez lui et se planque de son fils et de sa belle-soeur. Il garde cette Claire sous clé, refusant ses demandes de sortie. De ce que j’ai lu dans les critiques de Après tout, les gens mettent beaucoup en avant une histoire “d’amour” mais pour moi, c’est clairement une histoire de folie, d’un homme qui perd pied. Violemment inconsolable de la perte de son épouse, il cherche une solution pour la retrouver. Quitte à la retrouver dans un androïde imparfait : plus enfantine que Claire, un peu artificielle avec sa manie de ressasser des souvenirs pas si importants avec une précision surnaturelle. A un moment, il est précisé dans le roman qu’il veut une androïde à l’image exacte de Claire, “pour ne pas la trahir”. Avec, aussi, ses défauts physiques. La femme de sa vie n’est-elle donc qu’une enveloppe, peu importe ce qu’il y a dedans ? Mmm.

Fabriquer des androïdes

Le roman nous explique aussi que le monde va découvrir Claire. D’abord Greg, le fils, et Mimi, la belle-soeur. Tous deux choqués et peu enclins à accepter cette nouvelle Claire dans leur vie, Greg l’appelant “le grille-pain”. Grille-pain qui est aussi cité dans Un monde merveilleux. Je vais finir par m’interroger sur le fétichisme des Français pour le grille-pain. Bref, la famille n’est pas du tout ouverte à cet ersatz de la disparue. L’écrivain va également publier un roman sur son expérience avec l’androïde. Pensant pouvoir désormais vivre au grand jour avec Claire 2, il va découvrir que le monde n’est pas prêt pour une telle évolution.

Grille-pain

Bref, Après tout n’est pas du tout une histoire d’amour mais un roman qui parle de possession maladive et d’un homme qui ne pourra jamais se relever d’un deuil. Remplacez Claire l’androïde par l’alcool et vous aurez peu ou prou la même histoire : la désociabilisation, les êtres proches qui toquent à votre porte pour essayer de vous sortir de là, la tentation figurée ici par le sexe, l’obsession, la perte de repère… J’ai trouvé ce roman un peu vulgaire, un peu gênant. Surtout que je trouvais qu’il avait un concept très intéressant mais passait totalement à côté. Pourtant les passages sur le déclin de la vraie Claire atteinte de la maladie de Charcot étaient très bien écrits. Là, oui, je voyais l’amour. Par contre, que l’on considère la relation de l’écrivain et de l’androïde comme une histoire d’amour, ça me fait un peu peur pour notre société, j’avoue. Et je n’avais pas besoin de ça.

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