Dry, l’anticipation desséchée

Et si demain, l’eau cessait de couler des robinets. C’est le point de départ de Dry, un roman jeunesse où trouver de l’eau devient une question de survie

C’est l’été ! Avant, j’aimais bien l’été car c’était signe de vacances, de détente, de jour qui n’en finit pas. De boissons fraîches et occasionnellement alcoolisées dégustées jusque tard en bonne compagnie avec le ciel pour témoin. Mais depuis l’an dernier, je crains l’été. Parce que l’an dernier, nous avons vécu un épisode caniculaire fort pénible. Et le phénomène est appelé à se répéter. Alors cet article paraît au coeur d’un mois de juin plutôt morne après un confinement incroyablement ensoleillé. Comme si la Nature nous rappelait qu’elle et nous, on n’est plus copain. Mais nous allons quand même parler du péril qui menace l’humanité : la disparition de l’or bleu. C’est parti pour Dry, une anticipation qui nous parle d’une crise de l’eau.

Dry de Neal et Jarrod Shusterman

Quand l’eau ne coule plus des robinets

L’histoire, c’est celle du “tap-out”. Un matin, la Californie se réveille et l’eau ne coule plus dans les robinets. Panique à bord. Nous suivons les péripéties d’Alyssa, ado lambda de 16 ans, affublée de son frère Garrett qui tentent de survivre à l’impensable. C’est tout simplement l’histoire d’une société confrontée à la question de sa survie. On a pu voir au tout début du confinement à quel point il n’existait pas de pitié pour des choses somme toute triviales (le PQ). Alors imaginez quand il s’agit d’eau. Au début de ce récit, Alyssa est d’une naïveté confondante. Naïveté qu’elle va perdre dès l’expédition au supermarché du coin quand il va s’agir d’acheter de l’eau. Parce que c’est la guerre. Et une gamine de 16 ans affublée d’un enfant de dix ans ne se situe pas très haut dans l’échelle alimentaire. Seule son intelligence lui permettra de trouver une solution, se ruant sur les glaçons puisqu’il n’y a plus de pack d’eau.

Des glaçons

La société se désagrège

Dry est l’histoire de la désagrégation de la société. De la solidarité de la communauté, aka le quartier résidentiel, qui explose à la première crise venue. A notre politesse et notre surmoi qui s’envole dès qu’il s’agit d’une gorgée d’eau. Les stigmates sont visibles partout. Pelouse jaunie, plantes crevées, hygiène alternative et odeurs nauséabondes. Si les individus réagissent différemment à la crise, entre violence et volonté d’entraide, la situation dégénère petit à petit et la Californie n’est plus désormais qu’un no-man’s land ou quelques réfugiés essaient de survivre comme ils peuvent alors que les Etats voisins refusent désormais de partager leur or bleu, si précieux. Seul espoir ? La désalinisation de l’océan.

Désaliniser la mer pour la boire

Des personnages assez archétypaux

Dry ressemble pas mal à Bleu sur l’aspect sécheresse et manque d’eau. Ce sont des lectures qui donnent soif. Mais la comparaison s’arrête là. Dry est un roman destiné à la jeunesse et met donc en scène des ados plus ou moins débrouillards prêts à tout pour survivre mais encore trop naïfs pour ne pas faire confiance aux mauvaises personnes, pour oublier leurs élans de générosité. Neal Shusterman et Jarrod Shusterman, les auteurs, nous présentent quatre archétypes d’adolescents pour présenter une vaste gamme de sentiments et de réactions. Il y a donc Alyssa, l’ado responsable et volontaire, la bonne fille joueuse de foot et fort jolie. Ce n’est pas tout à fait la popular girl mais elle n’en est vraiment pas loin. A la disparition de ses parents, elle prend aussitôt le rôle d’autorité parentale auprès de son frère. Il y a ensuite Kelton, élevé dans une famille survivaliste, qui tente de prendre le rôle de chef (de famille) mais ce rôle va rapidement échoir à Jacqui, jeune adulte délinquante qui a pour habitude de squatter les maisons des richards en goguette. Son audace et son culot lui donnent naturellement le lead même si Alyssa a du mal à se soumettre. Et vers la fin, nous avons Henry, l’archétype du capitaliste qui trouve qu’en toute crise, il y a moyen d’asseoir son pouvoir et sa domination. Son défaut étant de surestimer son intelligence et son pouvoir de manipulation tout en prenant les autres pour des cons. Archétypal mais assez réaliste

Les ados dans San Andreas
C’est extrait de San Andreas et ça colle quasi à 100% avec Dry

Des personnages fonction

Car nos héros vont croiser des personnages fonction plus que de vrais caractères : la matriarche d’une communauté improvisée au grand coeur mais qui applique une équité avec grande rigueur, le voisin dirigiste qui se transforme en véritable tortionnaire quand le pouvoir lui échappe, le père survivaliste et glacial de Kelton atténué par la douceur maternelle. Les marginaux prêts à toutes les violences pour une goutte d’eau, le mec qui profite d’avoir de l’eau pour abuser d’adolescentes, des rednecks qui vivent dans une caravane avec leur mère et même un pilote d’avion héroïque à la fin. Et évidemment la traditionnelle scène des autoroutes bouchées par un trop plein de voitures avec quelques incendies de ci, de là. L’épopée que nous propose Dry n’est pas si originale. Cette fuite en avant vers un refuge, on peut la voir dans pas mal de fiction catastrophe

Autoroute de l'apocalypse

Un effondrement crédible

Mais elle paraît terriblement réaliste. Ici, pas d’astéroïde qui nous fonce dessus, d’invasion extraterrestre, de phénomène météo ou géologique incroyable. Si le tap-out surprend, nous sommes bien introduit, en début de récit, au fait que la sécheresse devient de plus en plus préoccupante. Mais malgré ce péril, personne ne prend de mesure, sauf les survivalistes. Le quartier résidentiel où vivent Alyssa et Kelton regorge de jardins aux pelouses vertes jusqu’à ce que l’eau disparaisse. Au tout début du roman, Garrett avale sans y penser tout une bouteille d’une boisson sucrée quelconque à la couleur douteuse. Genre du Gatorade. Alors que le péril est prévisible, personne n’y pense vraiment, personne ne l’envisage sérieusement. Tout comme Bleu, il y a un sentiment de déni face à l’évidence, face à ce réchauffement inéluctable et constaté mais qui ne mérite pas d’effort. Rien qui ne puisse ériger de digue quand l’effondrement survient.

Dry, l'effondrement par la sècheresse

Ca donne soif…

Alors est-ce que je recommande Dry ? Plutôt oui même si je réalise que je suis beaucoup plus indulgente avec les livres que j’écoute par rapport aux livres que je lis. Mais je l’ai trouvé vraiment agréable, c’est une aventure assez exaltante et angoissante. Les auteurs ont particulièrement travaillé pour rendre l’ambiance plus sèche qu’une botte de foin et ont bien documenté le phénomène de soif et ses effets sur le corps. Mais surtout, à la fin du roman, on a la sensation d’un effondrement brutal pour un phénomène finalement régulé. Un peu comme notre canicule 2003 qui, en quelques jours, a fait près de 20 000 morts. Un peu comme le coronavirus où on a l’impression, un mois après le déconfinement, que tout ça n’a peut-être pas vraiment existé. Peut-être parce que, par nature, l’homme est plus résilient que prévoyant ? 

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