Une petite BD pour lire au soleil ? Laissez-moi vous parler d’Utopie, une oeuvre en trois tomes. Dont je souhaite vous parler pas tant pour son propos en lui-même mais plus pour son mélange d’inspiration. Parce que oui, en lisant Utopie, vous aurez parfois des impressions de déjà-vu. Et ce n’est pas si grave.

La vie parfaite dans une cité parfaite
L’histoire. Will est un employé zélé du Ministère de l’histoire dans une riante cité utopique. Il vit avec Kiss, sa jolie Babe soit sa compagne robotique, un service offert à tous les habitants de la cité. On découvre donc le quotidien de notre héros, occupé à étudier de vieilles archives sur une cheffe de guerre dont on a du mal à comprendre son nom et ce qu’elle faisait. Une certaine Jo Stalina… A un moment, Will suggère que cette Staline ou Stalina pourrait être une femme mais tout le monde rit de bon coeur. Bref, la vie est belle pour Will, les entités dirigeantes, Carla et Andy, annoncent régulièrement via leur hologramme géant que la cité est en train de gagner une guerre spatiale.

Et soudain, l’objet interdit…
Puis Will découvre un jour un livre dans son casier. Objet interdit ! Cependant, curieux, il ne peut s’empêcher de le ramener chez lui. Le manège se poursuit et Will commence à alerter sa babe. Il développe également un intérêt amoureux pour une femme à son boulot, la belle inconnue de la cantine. Un jour, elle l’entraîne dans un vieux magasin et…

Encore une revisite de 1984 ?
Stop. Déjà qu’en lisant le premier tiers du premier tome d’Utopie, je me questionnais : pardon mais une cité ou un pays en guerre contre on ne sait qui avec une réécriture de l’histoire, une femme mystérieuse, un vieux magasin… C’est totalement 1984. Alors une relecture ou réécriture de 1984 ne me dérange pas en soi mais j’aimerais en être avertie. Je veux dire j’ai apprécié la BD Les yeux doux qui était une relecture un peu “pin up” de 1984. J’ai aussi lu 2084 de Boualem Sansal qui assumait absolument l’inspiration. J’ai débuté la lecture en sachant qu’il y avait cette inspiration. Mais là, non, alors que c’est presque du copier-coller. Ah, attendez, je poursuis ma lecture. Will se fait attraper et reconditionner pour devenir un soldat de l’espace. Ah ?

Un patchwork de références
Car oui, les premiers chapitres ressemblent très fortement à 1984. Légèrement teinté d’un Meilleur des mondes avec la disparition de la reproduction en temps que telle et, évidemment Fahrenheit 451 pour les livres. Les babes évoquent pas mal de romans sur la robotique même si le côté sexué est plus rare… Eventuellement Bonheur ™ qui était d’une vulgarité insoutenable. Le pouvoir de Naomi Alderman pour le côté matriarcal. Même si la ville est régie par un duo homme-femme donc je ne suis pas sûre d’avoir bien saisi le propos ici. Et nous allons découvrir d’autres inspirations dans ce roman. La reprogrammation neuronale d’un personnage attaché à sa chaise qui vit plusieurs vies fantasmagoriques n’est pas sans évoquer Brazil. Mais surtout : un homme qui se branche sur une sorte de machine de réalité virtuelle qui l’envoie, entre autre, se battre sur Mars. Et oui, forcément, on pense à Total Recall. Sur la fin, il est question d’un île mystérieuse hors système, aussi… Ah oui, Un bonheur insoutenable, je connais.

Tout n’est qu’illusion
On pourrait citer de nombreuses oeuvres, je pense que j’en ai raté quelques unes. Matrix par exemple puisqu’ici, les gens semblent plus des fonctions que des individus. Quand Will est sorti du système, il passe par plusieurs reconditionnements où on lui donne à chaque fois un nouveau nom. Au Ministère de l’Histoire, en revanche, Will est remplacé par un mec qui ne lui ressemble absolument pas mais que tout le monde identifie comme étant Will. Un homme doute, se souvient du Will d’avant mais à force qu’on lui répète que si, si, c’est lui, il finit par l’admettre. De la même façon, la magnificence de la ville est le fruit d’une illusion née d’une puce implantée dans le cerveau des citoyens.

Comme un goût de déjà-lu
Alors oui, Utopie a des goûts de déjà-vu puisqu’il mêle les grands classiques de la dystopie. Ce qui limite certaines surprises, surtout la fin qui est peu ou prou la même que celle d’un Bonheur insoutenable. Je comprends, c’est l’une des meilleures fins qui m’ait été donné de lire dans les romans dystopiques. Mais est-ce que repomper plus ou moins finement des références aussi connues et reconnues, c’est se condamner à l’échec ? Un peu oui puisque rien ne surprend. Et sur le premier volume, ça m’a un peu agacée, ce copier/coller sans guère de nuance de 1984. Et comme la plupart de ces dystopies, les personnages féminins sont totalement inconsistants. A la limite, la Babe a plus de caractère que Bleue, soumise et docile. Et belle surtout puisqu’elle convainc Will de rejoindre la résistance en… l’embrassant de façon gratuite à la cantine.

Des auteurs pas trop sûrs de leur propre récit ?
Pourtant, il y aurait eu matière. J’ai bien aimé le passage du reconditionnement de Will qui se retrouve à vivre plusieurs vies et ne plus savoir ni son nom ni son histoire d’origine. Comme Total Recall oui, mais il y avait un petit plus. Pareil sur la ville décrépie une fois que la puce est désactivée. Les mensonges d’Etat sur la guerre, la technologie… Beaucoup de matière assez peu exploitée, finalement. Comme si Rodolphe et Griffo n’étaient pas tout à fait sûrs de leur histoire et préféraient piocher dans des récits déjà écrits pour tisser leur propre histoire.

C’est grave de ne pas faire original ?
Et finalement, est-ce si grave ? Forcément dès qu’une dystopie sur la surveillance généralisée sort, tout le monde s’écrit, à tort ou à raison, “c’est dans la veine de 1984”. Alors que le récit peut être radicalement différent. Je pense par exemple à la ballade de Lila K qui contient pas mal de thématiques communes au roman d’Orwell mais aussi avec Utopie avec cette ville idyllique tant qu’on n’en sort pas. On n’a pas forcément à se censurer si on a une idée proche d’un classique. D’autant que le roman est sorti il y a 76 ans donc il y a quelques petites révisions à faire, à apporter. Ce que fait Utopie en faisant débuter sa version de 1984 dans une parfaite utopie. Dans ces cités lumineuses, aux bâtiments blancs aux formes plus originales et aux gentils hologrammes. Il n’y a plus de noirceur, de posters terrifiants d’un Big Brother plus menaçant que bienveillant. On n’est plus dans les années post-fascisme mais plus dans le techno-fascisme à la Musk et pour le coup, Utopie réalise bien la mise à jour.

Parfait pour initier à la dystopie
En résumé : une BD qui ne se révèlera guère surprenante pour ceux qui ont déjà lu des dystopies. Un dessin qui ne se démarque pas particulièrement et qui aurait pu être plus riche sur la ville. Mais ça se lit vite et ça peut être une bonne lecture pour ceux qui ont envie d’une dystopie un peu lumineuse pour cet été. Ou à prêter à quelqu’un qui n’a aucune connaissance des dystopies mais aimerait savoir ce que l’on peut y trouver.