J’ai une passion dans la vie : fureter au hasard dans les rayons de ma bibliothèque et espérer tomber sur une dystopie. C’est ainsi que je mis la main sur 2084 : la fin du monde de Boualem Sansal. Je suis toujours attirée par les dystopies écrites ou réalisées par des auteurs étrangers car les différences culturelles proposent souvent une variation intéressante. Et 2084 est déjà un cas intéressant puisqu’elle se présente comme une sorte de suite de 1984. Quitte à tirer inspiration d’une oeuvre culte, autant l’assumer pleinement.
Une théocratie autoritaire
L’histoire. Ati est un habitant de l’Abistan, pays fondé sur une religion fondée par Abi, prophète du Dieu Yölah. L’Abistan est donc une théocratie totalitaire, toute parole déviant de la doxa officielle est immédiatement étouffée. Justement, Ati est en plein doute. Peu convaincu par la propagande officielle qui raconte que tout le monde est heureux en Abistan, il s’agite. Il finit par partir à la recherche de Nas, un archéologue ayant trouvé un village abandonné qui remettrait en question l’histoire officielle du pays.
Réécrire l’histoire
Ce court résumé va vous permettre de situer déjà qu’on retrouve les mécanismes utilisés dans 1984. Un totalitarisme qui se justifie pour le bien commun et une réécriture perpétuelle de l’histoire. La partie réécriture est symbolisée par ce village abandonné trouvé par un archéologue. Alors que sa découverte remet totalement en cause le récit officiel, il va peu à peu devenir un village important dans la trajectoire d’Abi. Un récit facilité par la disparition mystérieuse de Nas…
Plus de savoir, plus de dates
Un autre point repris de 1984 : la simplification du langage. Les mots sont devenus plus courts. Les prénoms se limitent désormais à trois lettres. Le vocabulaire est empli de déclinaisons de termes liés à “Abi”, la capitale de l’Abistan est Abistan… Mais ça va plus loin puisque l’Abistan est sorti du temps. A plusieurs reprises, Ati explique qu’ils ne savent pas en quelle année ils sont. Mais une date apparaît sur un bâtiment, 2084. A noter qu’Ati n’est pas certain qu’il s’agit d’une date et surtout qu’il n’a aucune idée du pourquoi cette date. De ce que l’on sait, il semble que 2084 marque le début de l’histoire, soit la naissance de l’Abistan qui est la totalité du monde.
Le narrateur ne pige pas tout…
Et c’est ici la force et la faiblesse de ce roman. On suit donc Ati mais “suivre” n’est pas forcément le bon mot puisque le roman est essentiellement descriptif, expliquant très longuement le système qui régit l’Abistan. Mais un système narré par Ati qui n’a pas tous les outils pour tout comprendre. L’action, assez rare, est noyée dans un flot de considérations et de pièces de puzzle distribuées un peu au hasard. Sans oublier quelques clins d’oeil limite absurdes à 1984.
Une foi furieusement entretenue
La principale différence entre 1984 et 2084, outre le fait que le personnage ne comprend pas grand chose à ce qui lui arrive et entre “en résistance” presque par accident, c’est donc l’aspect religieux. Ce n’est pas délirant en soi, la figure de Big Brother pourrait être considéré comme une sorte de déification de l’Etat, pourquoi pas. Dans 2084, on se retrouve donc avec des préceptes indiscutables car dictés par un prophète inspiré par Dieu himself. Les citoyens sont invités à entretenir leur foi par le biais de pélerinages, la réécriture de l’histoire est violente puisqu’il n’existe plus rien en dehors de l’Abistan. Point intéressant : l’Abistan se prive ici de la possibilité de fédérer son peuple derrière un ennemi commun. Pas de frontières, pas de menace extérieure.
Une critique de l’Islam évidente
Il n’est pas difficile de reconnaître la religion à peine grimée dans 2084 : la fin du monde. L’Abistan se situe dans le désert, il est question de caravanes, de pélerinage. Et je pense que l’auteur, algérien, a quelques comptes à régler avec l’Islam puisqu’il présente l’Abistan comme un pays arriéré. Notamment à travers d’un personnage qui semble en résistance et qui s’habille en jeans et fume des cigarettes. La fin de 2084 insiste sur l’hypocrisie des théologues au pouvoir qui cherchent juste à se débarrasser du clan ennemi. Je vais citer ici une critique du roman parue dans Paris Match “Dans vingt ans, quand les eaux islamophobes de France auront regagné leur lit, on se demandera comment on a pu s’emballer pour un thriller aussi lent”. Et j’avoue que c’est ce que j’ai un peu retrouvé dans les critiques du roman. Ceux qui ont mis beaucoup d’étoiles évoquaient systématiquement l’Islam radical qui gangrène tout alors que ceux qui n’avaient pas aimé le roman parlaient de la lenteur du récit ou de la confusion de la narration.
Une critique trop terre-à-terre de l’Islam
Et j’avoue avoir refermé 2084 : la fin du monde très mitigée. J’étais vraiment intriguée par l’aspect théocratie autoritaire et le fait que ce soit l’Islam qui soit caricaturée ici n’est pas un objet de critique en soi. UnE auteurice de dystopie crée une fiction sur ce qui lui paraît être une menace sur notre société actuelle. Qu’un auteur algérien invente une théocratie inspirée de de l’Islam, la religion dominante dans son pays, n’a rien de critiquable. Margaret Atwood n’a pas inventé une théocratie sur une religion qui n’est pas la sienne. Cependant, Boualem Sansal, dans sa volonté de servir une critique virulente de l’Islam, manque cruellement de hauteur. 2084 propose une foule d’ingrédients vraiment intéressants mais c’est totalement dilué dans des considérations autres et la volonté parfois puérile de se moquer de l’arriérisme de l’Islam radical.
Le plus intéressant repoussé en périphérie
Prenons cette histoire de village découvert qui remet à mal la mythologie officielle de l’Abistan. Ca, c’était intéressant. On aurait pu se focaliser sur la découverte en elle-même, l’archéologue qui comprend la portée de sa découverte. Sa peur de ce qui pourrait lui arriver. Les manigances politiques pour faire rentrer ce village dans le grand roman national. Non. On va plutôt se focaliser sur un personnage lambda qui a pour seule caractéristique de douter et qui connaîtra cette histoire de village par des témoignages indirects. Car oui, plus le désir de vérité d’Ati est fort, moins il va retrouver Nas.
Quand l’auteur oublie de raconter une histoire
2084 est un cas assez classique de dystopie un peu bête et méchante, finalement. Si on enlève le style d’écriture, agréable, il reste une caricature peu subtile de l’Islam radical qui oublie, au passage, de raconter une vraie histoire. Parce que l’histoire d’Ati qui part chercher Nas, ça arrive dans la deuxième moitié du roman et Ati qui cherche Nas, ça se résume vite à “il est caché dans un entrepôt et attend qu’il se passe un truc”. C’est plat. Désespérément plat. Et si l’idée des prénoms en trois lettres donne une certaine épaisseur au récit, ça a rendu la narration encore plus confuse. Surtout à la fin quand Ati se retrouve à être une petite cheville ouvrière d’un grand complot où les prénoms pleuvaient dans tous les sens. Bref, si vous voulez un chouette roman pour les vacances, ce ne sera pas 2084. Par contre, recommandation gratuite, penchez-vous sur Du nouveau monde de Yusuke Kishi que j’ai lu juste après et que je chroniquerai sans doute ici quand le tome 2 sera sorti.