Quand j’ai aperçu Fragile/s pour la première fois dans une sélection de romans dystopiques, je fus un peu sceptique. Présenté comme une version française de La servante écarlate, avec une couverture rappelant peu subtilement le lien, je doutais. Et puis, l’ayant trouvé à la bibliothèque de ma ville, je cédais à la tentation. Surtout que, plot twist, ça ne ressemble pas tant à son illustre aînée. Même si…

Une grossesse qui fait tout basculer
L’histoire. Dans un futur proche, la France est dirigée par un parti d’extrême-droite autocratique. Typhaine est mariée à Gauthier, un des caciques du parti, ce qui lui permet d’intégrer un programme de fécondité. Car oui, dans cette France de dans pas longtemps, la fertilité a dégringolé et les enfants qui naissent sont atteints du “syndrome de l’X”, une dégénération du chromosome X qui les rend différents et vulnérables. On les appelles les “fragiles”. Grâce au programme de fertilité, Typhaine donne naissance à un petit garçon, Nolan. Mais très vite, elle trouve que son enfant se développe vite, très vite. Trop vite. Et les autres enfants du programme semblent dotés des mêmes capacités…

L’amour d’une mère malgré tout
Alors puisque Fragile/s est vendu comme la version française de la Servante écarlate, balayons les thèmes communs. Le ventre des femmes. Dans Fragile/s, outre une baisse de la fertilité, c’est surtout le syndrome de l’X qui pose problème. Typhaine a donné naissance à une première fille, Madeleine, fragile. La petite fille fait des colères terribles et peu contrôlables durant lesquelles elle peut blesser et mutiler les autres. Notamment mordre. Bébé, elle a manqué de tuer sa mère en la mordant à la jugulaire. Cependant, malgré l’énergie, positive ou négative, de Madeleine, l’amour de Typhaine pour sa mère est sincère et profond. D’autant plus quand elle commence à soupçonner qu’il y a un souci avec Nolan.

Un programme de fertilité pour les bourgeois
Autre point commun avec la servante écarlate, la reproduction des élites. Dans the handmaid’s tale, seules les familles les plus puissantes ont leur servante. Ici, c’est un peu moins évident. Typhaine nous explique qu’elle fait partie d’un premier contingent de mères à fertiliser, 1500 femmes sélectionnées. Parmi elles, Isabelle, la femme d’un cadre important du parti. On ne sait pas grand chose de plus sur les autres mais Isabelle et Typhaine n’ont pas le profil idéal pour le programme, ayant dépassé la trentaine. Isabelle et Typhaine auront d’ailleurs une relation très conflictuelle, ne se retrouvant que sur leur inquiétude quant aux étranges capacités de leurs enfants.

Une autocratie de type classique
Autre point semblable qui a dû vous sauter au visage dès la lecture du résumé : l’autoritarisme. Ok sauf que pour le coup, on n’est pas dans une théocratie. Le gouvernement français de Fragile/s a clairement la haine de l’étranger. Avant la naissance de Nolan, Typhaine emploie Aissatou pour s’occuper de Madeleine. Plus qu’une nounou, Aissatou devient l’amie de Typhaine. Cette dernière va tenter d’utiliser son influence pour protéger son amie et son fils mais il ne fait pas bon être d’origine africaine dans cette France là. On découvre également que ce gouvernement n’aime guère les femmes dissidentes et celles incarcérées sont envoyées dans des cliniques de fertilité où on les bombarde d’hormones pour prélever leurs ovules. Cependant, le régime n’est pas ouvertement hostile aux femmes. Si Typhaine et Isabelle ne travaillent pas ou plus, c’est plus dans cet idéal bourgeois de l’homme qui pourvoit suffisamment aux besoins de sa famille pour que sa femme puisse passer la journée à regarder la nounou s’occuper des enfants.

La nounou espionne
Les nounous, parlons-en. Au fur et à mesure du roman, Typhaine perd un peu pied et semble représenter une menace pour Nolan. Nolan qui est très précieux car normal et un garçon en plus. Aissatou va donc être renvoyée à la première absence de Typhaine pour être remplacée par Bénédicte, une sorte de cul béni clairement là pour surveiller la mère défaillante. Il n’est cependant pas spécifié si les autres familles du programme bénéficient également de nounous. Isabelle oui mais toujours dans cet espèce d’idéal bourgeois. Les autres familles qui apparaissent occasionnellement à travers des articles de presse, à priori collectés par Typhaine, ne semblent pas en posséder.

Une histoire de génétique avant tout
Mais Fragile/s a son propre chemin et lui, ce qui l’intéresse, c’est la génétique. Pas une fable issue de l’Ancien Testament qui permet de violer des femmes en présence de son épouse. Les enfants dits normaux sont donc issus d’un programme permettant d’éliminer le syndrome de l’X pour repeupler la France d’enfants sains. Des enfants génétiquement parfaits pour repeupler une nation fasciste alors que les étrangers sont stockés dans des camps… C’est pas tant la Servante écarlate que ça me rappelle que le nazisme… Le nazisme sans les manipulations génétiques totalement assumées du fait qu’à l’époque, on maîtrisait moins les bails.

Un film d’horreur qui a servi d’inspiration ?
L’originalité de Fragile/s, sur une histoire qui pourrait sembler déjà vue, ce sont donc ces enfants aux capacités un peu étranges. Si Typhaine pense être d’abord victime d’une paranoïa, c’est le témoignage de sa quasi rivale Isabelle qui va lui faire comprendre que, oui, y a un problème. Par exemple, Léa et Nolan réalisent des dessins identiques alors qu’il ne sont pas ensemble… Des enfants surdoués, mystérieux et potentiellement connectés, ça me rappelle un film, mmm… ah oui, Le village des damnés. Vraiment, tout au long du roman, l’angoisse de Typhaine vis-à-vis de son fils augmente et je repensais systématiquement à ce film. D’où le titre de cette chronique.

Un livre ne devrait pas se vendre sur une comparaison
Je trouve que la comparaison un peu lourdingue avec La servante écarlate ne rend pas service à Fragile/s. Oui, il y a de fortes similitudes, je les ai listées, mais elles sont plutôt superficielles. L’histoire, la vraie, c’est celle d’une femme meurtrie, blessée, quasi tuée par un système et qui va peu à peu le rejeter, voire le combattre. Contrairement à June, elle voulait bien de cet enfant, au départ. On peut la considérer comme une prisonnière du système, tout comme June mais dans les faits, Typhaine tient plus d’une Serena. Une femme parfaitement intégrée au système qui réalise néanmoins qu’elle est autant soumise que les autres.

Un roman à découvrir
Bref, Fragile/s est un roman intéressant. Son écriture est assez particulière mais plutôt incisive, j’ai bien aimé le style. Je n’ai pas été convaincue par l’ultime rebondissement, je pense qu’on est à la limite de la sortie de route là-dessus. Ca ternit un peu mon appréciation du roman même si je l’ai lu rapidement et avec plaisir. Je recommande.