Severance, la dystopie team building et esclavagisme

Une dystopie qui se moque de la vie de bureau, une idée un peu trop folle ? Non, c’est le pitch de Severance, une série pépite.

Parmi les sujets qui m’intéressent dans la vie, il y a le monde du travail. Je déteste le monde du travail. Le monde de l’entreprise tel qu’il est aujourd’hui. Je n’y vois qu’une volonté de briser ceux qui ne sont rien tandis que les médiocres nés du bon côté de la barrière prennent des décisions ineptes. L’incompétence, c’est que pour les riches. Je consomme ainsi beaucoup de contenus, souvent humoristiques, autour de cette thématique. Déjà pour ne pas me sentir seule. Alors forcément, quand je découvre une dystopie sur le monde du travail, j’appuie sur lecture. C’est parti pour Severance.

Adam Scott dans Severance

L’histoire. Mark S. est salarié au sein de Limon, un consortium. Tous les jours, il parcourt des kilomètres de couloirs blancs, longe des open spaces vides pour traiter de la donnée. Mais tandis que Mark semble vivre sa petite vie d’employé modèle à la Cogip ou équivalent, une jeune femme se retrouve séquestrée dans une salle de réunion. On lui pose des questions somme toute banales à laquelle elle est incapable de répondre. Elle a oublié son nom, son identité et la couleur des yeux de sa mère. Car à Lumon, les salariés sont dissociés : leur cerveau de travailleur est déconnecté de leur vie en-dehors et vice et versa.

La team Macro data de Severance

Severance va donc nous proposer de suivre la vie de Mark, Helly, la jeune femme du bureau, Irving et Dylan, la joyeuse équipe de l’équipe de macro données nouvellement dirigée par Mark. Il vient d’être nommé suite au départ soudain de Petey, ancien responsable et très grand ami de Mark. La version à l’intérieur de l’entreprise. Car on va vite découvrir que la version interne et la version externe de chaque personnage peut varier jusque dans leur caractère. La série commence de façon assez joyeuse et absurde. Nous découvrons les journées de travail un peu absurdes au coeur de Lumon avec ses rites, de la chief happiness officer au team building en passant par la célébration de la grandeur du fondateur de la société.

Milchik en pleine représentation

Le premier point évident de Severance est de souligner l’absurdité du travail dans un futur plus ou moins proche. Dans le premier épisode, on découvre que “le traitement de la macro-donnée” consiste à faire glisser des chiffres dans des boîtes de façon un peu absconse. “Il faut reconnaître les chiffres qui paraissent suspects”. Ce point m’a immédiatement fait penser à Trepalium où les travailleurs réalisaient des tâches aussi peu évoluées. Mais la critique du travail n’est pas tout à fait la même. Dans Trepalium, le “travail” était un cadeau fait à certaines élites, des tâches sans conséquence. Alors que le travail de Mark et son équipe semble servir un projet qui les dépasse. De gentils salariés qui exécutent sans savoir de quoi il retourne exactement.

Mark s. et Helly R. traitent les données

Cependant, dans ces deux fictions, on retrouve la question de l’esclavagisme dans le travail. De façon très philosophique dans Trepalium alors que c’est très littéral dans Severance. Les versions salariés des personnages, les “innies”  ne connaissent aucun repos. Ils font leur journée de travail et quand ils reviennent à eux, ils sont à nouveau au travail. Pas de repos, pas de week-end. Leur univers entier se résume à leur open space et ses couloirs infinis qu’ils parcourent. Ils ne savent rien de leur vie extérieure, leur seul horizon est vraiment Lumon. Lumon qui interdit au demeurant d’avoir des relations amoureuses au travail. Les innies ne sont pas considérés comme des personnes à part entière. Chaque pétage de plomb de leur part leur vaut des séances de punition intenses. Pas de violence physique mais… Ce traitement cruel fait penser à l’épisode de Black Mirror avec John Hamm où il éduque une puce qui croit être la propriétaire d’un système de domotique à obéir en la soumettant à une torture psychologique.

Open space dans Severance

Le fait que les innies ne sont pas considérés comme des personnes à part entière ressort de plus en plus fort au fur et à mesure des épisodes. L’exter d’Helly le dit explicitement. Alors que celle-ci vit très mal son expérience au sein de Lumon et veut à tout prix partir, son exter refuse sa démission et lui dit clairement via une vidéo. “Je suis une personne, toi non”. Dès lors, l’identité des innies devient une question à part entière. La série nous a bien montré qu’ils étaient différents de leur histoire extérieure. Ainsi, quand Burt, le crush/flirt d’Irving fait son pot de départ car son exter part à la retraite, Irving pète un câble et dit les mots “vous n’avez pas le droit de le tuer”. Car la vie et les souvenirs des innies disparaissent à partir du moment où ils ne retournent pas dans l’entreprise.

La team macro-data

La saison 02 met particulièrement ce point en avant. Innies et Exter se retrouvent à devoir prendre des décisions par rapport à leur autre version. Les identités se troublent et les choix se font de plus en plus difficiles. Ainsi, l’un des personnages devient le rival de son exter auprès de son propre conjoint. Un autre est partagé entre deux histoires d’amour. L’amour, parlons-en. Plusieurs personnages ont droit à des tensions amoureuses, voire plus, au coeur de Lumon. Hé, c’est la vie d’entreprise, combien d’histoires se sont nouées à la photocopieuse ou à la machine à café ? Le souci est que l’exter peut être en couple avec une autre personne. Cependant, si l’Innie a une liaison, est-ce une infidélité ou juste une personne qui vit sa propre vie ?

Helly R. et Mark S., romance au bureau

On en revient ici à une interrogation assez classique sur ce qui fait l’âme d’un être. On a beaucoup eu ce sujet ces dernières années avec les IA, les androïdes. Une créature capable de sentiments et de libre-arbitre est-elle une vraie personne ? Mais aussi sur la question des êtres incarnés dans une enveloppe qui n’est pas la leur comme dans Altered Carbon ou Mickey 17, par exemple. Mickey 17 qui exploitait également cette idée de variation de caractère selon les incarnations de Mickey. Qui est le vrai Mark ? L’Innie ou l’exter ? Quid d’Helly ? Dylan ? Irving ?

Helly se fait implanter dans Severance

Cette série est un pur bijou. Bon, elle propose une certaine complexité autour de Lumon et des intentions de son créateur et ses cadres dirigeants qui n’ont aucun intérêt ici. Et qui, limite, m’intéressent moins que les relations entre innies, exters et entre chaque innie et son exter. Le concept de ces deux personnages incarnés en un seul corps et qui se réveille selon sa localisation est une idée géniale qui interroge sur le vrai moi, sur les droits de “sous-entités”, on va dire. Et sur l’absurdité du monde du travail.

Milchik danse
Milchik est tellement le meilleur personnage

J’ai découvert en regardant la vidéo de Bolchegeek que la série était réalisée par Ben Stiller. J’ai assez peu d’affection pour le Ben Stiller comique, ayant violemment détesté “Mon beau-père et moi” plus jeune. Autant le Ben Stiller plus fragile, plus profond… J’avais adoré La vie rêvée de Walter Mitty, au point d’être émue quand j’entends Major Tom. Walter Mitty qui parlait d’un petit employé à priori sans envergure qui vivait une aventure extraordinaire. Un peu comme Mark S… Incarné par Adam Scott qui jouait un manager tyran dans Walter Mitty. D’ailleurs, le casting est excellent puisque outre Adam Scott, on retrouve Patricia Arquette que j’aime toujours beaucoup. A noter les participations également de John Turturro, immense second couteau des fictions américaines et Dichen Lachman déjà croisée dans The 100, Altered Carbon… et Dollhouse dont il faudrait que je parle. Dans la droite ligne de cet article. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *