Quand j’ai appris l’existence du projet Megalopolis, j’avais hâte de découvrir ça. Une dystopie avec une volonté de se reposer sur l’Histoire, tout ce que j’aime. Sauf qu’au fur et à mesure des critiques et des polémiques, j’ai déchanté. Et je n’ai pas trouvé assez de motivation pour aller voir le film au cinéma. J’ai fini par le regarder en VOD et… oui, c’est une dystopie qui a beaucoup à raconter. Beaucoup, beaucoup.

Une civilisation en pleine décadence
L’histoire. Dans la ville de New-Rome, c’est la décadence. Les jeunes se dévergondent tandis que leurs parents complotent. Pour sauver la ville, il faudrait un projet d’envergure qui aurait pour vertu de calmer la colère du peuple. César Catilina, architecte visionnaire mais sulfureux, imagine une mégapole incroyable construite à partir d’un matériau révolutionnaire, le megalon. Alors que Cesar rêve d’offrir une utopie aux habitants de New-Rome, il doit faire face aux manigances du maire Franck Cicero qui lui voue une haine tenace ainsi que celle de Claudio, son cousin.

Un bas peuple broyé par les délires des puissants
Megalopolis nous propose des thèmes somme toute classiques dans les dystopies. Nous avons tout d’abord la dimension lutte des classes. Alors que le projet de César se lance, les habitants expropriés des quartiers qui vont accueillir Megalopolis en pleine révolte. Galvanisés par Claudio qui voit en cette population en colère un tremplin pour sa propre carrière. Toute ressemblance avec les gesticulations des politiciens face aux gilets jaunes serait purement fortuite… Oui, vraiment fortuite car je ne pense pas que Coppola ait suivi ce mouvement. Mais un politicien qui essaie de surfer sur la vague de la colère, c’est pas nouveau.

Une utopie mais à quel prix ?
Si ce point est assez peu traité dans le film, il est assez clé. Il oppose le rêve de César, la volonté d’offrir une cité moderne à tous, à la réalité. En attendant que la cité soit construite, si tant est que le projet aboutisse, les gens se retrouvent à la rue. Cette population, assez peu visible dans le film, se retrouve expropriée. Et vivra en plus une catastrophe naturelle à peine esquissée dans le film. A peine transparaît-elle dans un dialogue et dans une scène très métaphorique. Une péripétie dont on aurait pu se passer ? Non car si on additionne les rares moments où l’on aperçoit cette foule pauvre, le message est clair : le sommet de la ville est totalement déconnectée du bas. Ils semblent à peine au courant de la colère du peuple, de ses morts. Quand Claudio pense pouvoir les manipuler pour les allier à sa cause, il fait face à une terrible déception.

Une lutte de pouvoir au sommet
Le sommet, parlons-en. Une bonne partie du film va nous présenter les manigances des uns et des autres pour obtenir ou conserver le pouvoir. Le maire Cicero cache un terrible secret qui explique en partie la haine qu’il voue à César. Mais c’est surtout au sein de la famille Crassius que les ficelles se tirent. Crassius est un vieux monsieur, euphémisme, qui possède la banque de New Rome. Le vieux monsieur décide d’épouser la jeune Wow Platinum, une journaliste arriviste qui n’a qu’une ambition : récupérer les clés de la banque. Ambition qui semble partagée par Claudio qui y voit une marche pour accéder à la mairie. Bref, pour résumer la vie au sommet : les vieux monsieurs s’accrochent à leur trône en tremblant d’en être délogés. Les plus jeunes essaient de les faire chuter.

Jeunesse dépravée vue par un vieux réac
Les jeunes, justement. Pour illustrer la décadence de ce New-Rome, Coppola va nous présenter les soirées de cette jeunesse dorée. Notamment de jeunes femmes qui fument et font plus ou moins semblant de s’embrasser. Claudio, parfois travesti, qui est parfaitement insupportable. Pour illustrer la décadence de cette jeunesse, Coppola met en scène le personnage de Vesta Sweetwater. Cette jeune femme pure et innocente présente un numéro adorable où ses clones et elles jouent du yukulele tandis que les gens misent de l’argent pour l’aider à rester vierge jusqu’au mariage. Sauf que, stupeur et tremblement, à la fin de son adorable numéro, une sextape de Cesar et elle est diffusée. Encore un coup de Claudio ! Si la vidéo se révèle fausse, point “attention aux IA et deepfakes”, elle permet de révéler que Vesta n’est pas du tout celle qu’elle prétend être non plus. Bref, Coppola insiste lourdement sur cette jeunesse perdue. Celle accro aux réseaux sociaux et à sa propre image. Celle prête à tout pour ses quelques instants de gloire. Mais qui rentre dans le rang dès qu’elle tombe en amour avec un homme plus stable. Comme Julia Cicero, fille du maire, amoureuse de César. Bref, le traitement de la jeunesse dans Megalopolis a un côté “vieux con réac”… Un peu inhérent aux dystopies écrites par des hommes d’un certain âge.

Un matériau magique qui va nous sauver
Un autre point un peu plus intrigant et improbable : le mégalon. Curieusement, les résumés du film vont totalement impasse sur ce matériau quasi magique. C’est lui qui va permettre à César de créer sa cité utopique. Si vous avez vu les bandes annonces de l’époque, vous savez que César a une sorte de pouvoir d’arrêter le temps. Ce personnage semble enrobé d’une aura un peu mystique. Notamment via le megalon, une matière dorée dont la consistance semble très éthérée. Si le film s’arrête assez peu dessus, c’est pourtant un point que l’on croise régulièrement dans les dystopies, cette idée d’un matériau magique qui pourrait tout révolutionner. Comme si l’être humain n’était pas capable de se sortir seul de sa décadence. Qu’il devait être aidé par une technologie miracle, parfois issue d’une civilisation extraterrestre avancée comme dans Renaissance. Ou Le problème à trois corps. Au moins Coppola nous évite le mythe du génie visionnaire infaillible. Car si César est bien un visionnaire, le côté génie et infaillible, bof.

Un film très beau mais miso
Alors concrètement, Megalopolis, j’en ai pensé quoi ? J’ai été assez mitigée. Le film est très beau et Coppola teste énormément de choses, propose de nombreuses mises en scène et ça, j’ai adoré. Après, je crois que Megalopolis aurait été plus à l’aise dans un format mini-série qui permet de mieux poser son univers car certains points d’intrigue sont un peu rushés et des personnages apparaissent et disparaissent un peu selon les besoins du scénario. Les acteurices sont impeccables, j’ai trouvé Nathalie Emmanuel (Julia), très bien castée, Aubrey Plaza plutôt étonnante dans le rôle de Wow Platinum. Mais justement, à propos des actrices… Ce film pue quand même la vieille misogynie. Outre le fait qu’on n’a que 2,5 personnages féminins emblématiques, le demi étant pour Vesta sus-citée puisqu’elle apparaît et disparaît tout aussi vite, il semble que les personnages féminins ne peuvent être que douce (Julia) ou machiavélique (Wow) dans ce film. Le personnage de Wow est un excellent exemple de mauvais traitement de la femme vénale et sexuelle. Malgré une très bonne idée de mise en scène à un moment pour illustrer son côté manipulatrice.

Presque mon Empire Romain
En résumé, je pense que Megalopolis m’a frustrée car j’y voyais plus de potentiel. Quelques scènes m’ont laissée sur ma faim et il y a pas mal de maladresses d’écriture, de personnages un peu caricaturaux. Notamment Claudio qui aurait mérité une évolution plus rapide parce qu’à part son côté tête à claque dans la première moitié du film, il n’y a pas de réelle substance. Je trouve le film un peu réac et misogyne. Mais Megalopolis échoue sans doute à remplir mes attentes, ce qui me rend un peu dure avec lui. Cette idée de reprendre le mythe de la fin de l’empire romain, idée qui, on le rappelle, a servi de colonne vertébrale pour Fondation, l’esthétique néo-classique… Et d’autres films de Coppola qui me laissaient penser qu’il pouvait nous présenter des personnages féminins forts et nuancés. Julia aurait pu être sa nouvelle Mina mais elle fait plus figure de muse soumise au vouloir des hommes de sa vie, à savoir son amant et son père. Ce personnage méritait mieux et ce film méritait quelque chose de plus… Mais ça reste un film pas si horrible que ce que la critique en a bien voulu dire, assez inventif dans sa mise en scène. En fait, dépourvu de son côté réac et miso, ça aurait sans doute été un de mes films préférés.

Faites vous votre propre avis
Du coup, si vous n’avez pas eu le courage d’aller le voir au cinéma, découragés par la critique, je ne peux que vous conseiller de retenter. Je ne vous garantis pas que vous allez aimer mais je crois que ce film est trop foutraque pour qu’on puisse se faire un avis juste à travers les critiques. Déjà que moi, après l’avoir vu, je ne suis toujours pas sûre de ce que j’en pense… Il me hante néanmoins. Ce n’est pas un film que j’aurai oublié dans quelques jours et rien que ça, ça mérite 2h18 de votre temps. 2h18 qui passent assez vite car le film est très généreux en péripéties.