Et si je vous parlais d’uchronie pour changer ? J’adore les uchronies. C’est vraiment mon exercice préféré, multiplier les “et si” pour imaginer un autre monde. Des contenus souvent éminemment politiques. J’avais entendu parler de All for mankind, une réécriture de la conquête spatiale, lors de sa sortie puis j’avais oublié. Profitant d’un éphémère abonnement à Apple tv, j’ai donc binge watché les quatre premières saisons. Parce que oui, j’ai vraiment aimé, malgré quelques outrances de scénario.

L’URSS, pionnière de la conquête spatiale
L’histoire ! En 1969, l’humanité est accrochée à son poste de télévision car, selon la rumeur, un vaisseau vient d’atterrir sur la Lune ! Le module lunaire s’ouvre, un scaphandre spatial apparaît, descend quatre marches et atterrit sur le sol lunaire. Oui, l’Homme vient de marcher sur la Lune. Sauf que dans All for Mankind, ce premier pas est réalisé par… Alexei Leonov. Hé oui, l’URSS a dépassé les Etats-Unis et marché sur la Lune en premier. Un poil vexés, les Etats-Unis décident de mettre les bouchées doubles pour rattraper l’URSS.

Une histoire d’hommes… et de femmes
Donc point un : l’URSS est devant les Etats-Unis sur la conquête de la Lune. D’ailleurs, alors que les astronautes se préparent pour le grand voyage, l’URSS envoie un deuxième équipage et, cette fois-ci, le cosmonaute est… une femme. Branle-bas de combat à la NASA ! Il faut intégrer une femme dans le premier équipage américain. La première saison va donc nous raconter l’entraînement de ces femmes qui n’étaient pas destinées à partir dans l’espace ainsi que tout le background politique. On suit aussi les histoires personnelles des astronautes, familles typiques de la fin des années 60.

Même les héros et héroïnes meurent
Chaque saison avance d’une décennie par rapport à la précédente. Saison 02, les bases lunaires se développent, saison 03, on part sur Mars. Saison 04, les bases martiennes se développent avec l’arrivée d’ouvriers. Sur la saison 05, il semble que nous partirons sur une nouvelle Lune de Mars. Chaque saison se passe peu ou prou de la même façon : on se prépare à partir, départ, ça se passe bien ou pas. A un moment, il faut réaliser un sauvetage incroyable et à la fin de la saison, il y a une exaltation mais aussi de la tristesse car des gens meurent. Car la conquête spatiale est mortelle, littéralement.

On ne se lance pas à moitié dans la conquête spatiale
Premier point évident : cette conquête spatiale rappelle celle du Far West. Des pionniers courageux, au tempérament sacrificiel parfois jusqu’à l’absurde. Cette volonté de dompter une nature sauvage et hostile pour… le bien de l’Humanité, je crois. La conquête de l’espace a un côté presque mystique, on voit plusieurs personnages y consacrer leur vie. Comme Margot Madison qui vit littéralement au siège de la NASA, dans son bureau. Le côté sacrificiel est mis constamment en scène par différents angles. Par exemple Ed Baldwin, le commandant père de famille qui fait toujours passer sa famille après sa mission, même dans les situations les plus difficiles. Sa femme, Karen, apprend à faire taire ses appréhensions car la mission de son mari passe avant tout. Le côté de la famille qui passe après la mission, on l’aura sur de nombreux personnages. Tracy et Gordo, Dani, Danny. A l’inverse, la jeune Aleida ne prend pas le sujet toujours au sérieux, cédant la frivolité inhérente à son âge. Sa légèreté l’éloignera de la NASA jusqu’à ce qu’elle soit prête à s’investir totalement.

Des questions technologiques
La série nous présente différents axes : d’abord les sujets techniques avec des personnalités brillantes comme Margot ou Aleida déjà citées, ou encore Dev Ayesa, entrepreneur de génie qui rêve de Mars. Oui, Dev apparaît dans la saison 03, tournée en 2021. A l’époque, Musk était encore un archétype narratif relativement crédible… Je ne vous cache pas que ce personnage en 2025 m’a fait un peu ricaner. La question technologique est intéressante car elle a des conséquences sur la vie civile. Ainsi, les premières voitures électriques se popularisent dès les années 80. L’hélium 3 est exploité et, dans la saison 04, il est question d’attraper des astéroïdes bourrés de métaux rares, ce qui évite les forages terrestres. Un peu comme dans Don’t look up sauf que les astéroïdes en question ne représentent aucun danger pour la Terre.

De plus en plus de participants à la course à l’espace
Mais surtout, nous avons des questions politiques et sociétales. Mon péché mignon. La série va poser quelques postulats. Déjà, l’URSS ne s’effondre pas. Dans la quatrième saison qui se passe dans les années 2000, on apprend que Gorbatchev vient d’être renversé par un général qui veut maintenir la puissance soviétique. Des remous politiques qui ont des conséquences jusque sur la base martienne. Malgré tout, la guerre froide n’existe pour ainsi dire plus, Russes et Américains ont appris à collaborer durant ces trois décennies de conquête spatiale. Même si ça n’a pas été sans heurts et sans morts. Vous voyez la crise de Cuba ? La série nous propose de nouvelles crises assez proches sur la Lune. Par ailleurs, même si l’uchronie s’éloigne de plus en plus de la vraie Histoire, certains éléments ont été gardés. Comme le crash du vol Korean Airlines abattu par accident par les Russes en 1983. Par ailleurs, la course à l’espace va impliquer d’autres acteurs. Outre la société Helios de Dev, les Chinois, les Indiens et les Coréens du Nord tentent des trucs. Comme dans la réalité.

Une société profondément modifiée
Si la politique est bouleversée par les changements d’événements, la société américaine l’est aussi. Je salue la très bonne écriture de la série sur le sujet qui va montrer que cette société parallèle se féminise beaucoup plus vite que la nôtre. Alors qu’en parallèle, certains sujets restent tabous. Lors de la première saison, nous découvrons Ellen Waverly, aspirante astronaute. Alors que la série laisse planer le doute sur l’orientation sexuelle de la virile Molly Comb, c’est en réalité Ellen qui est lesbienne mais reste au chaud dans le placard. Ses exploits spatiaux lui confèrent une grande popularité et elle gravit les échelons politico-administratifs jusqu’à devenir Présidente des USA. Mais elle continue de jouer les hétéras en étant mariée avec un collègue de la NASA, lui-même gay. Jusqu’à ce qu’elle se retrouve en délicatesse car un des premiers hommes de Mars a révélé son homosexualité à la télé, lui valant d’être renvoyé de l’armée. Episode se passant dans les années 90… La question des minorités est aussi vaguement abordée avec le personnage de Danielle Poole, femme noire astronaute. Elle sera celle qui mènera la mission de collaboration entre Appolo et Soyouz à la fin des années 80.

Une série riche en thématiques
Résumer quatre saisons de For all mankind est assez complexe tant les sujets abordés sont variés. On va avoir un arc sur les sceptiques, ceux qui pensent que la NASA ment sur tous ces projets spatiaux, dans la saison 03. Une vague histoire d’hôtel spatial aussi. Des coups politiques, de l’espionnage, des relations russo-américaines presque contre nature. Des visages connus comme Joel Kinnaman que nous avons pu voir dans la première saison de Altered Carbon, Sonya Walger qui jouait Penny dans Lost, Edi Gatheri qui interprète Mister Terrific dans le Superman actuellement à l’affiche. On a également Shantel VanSanten qui jouait Quinn dans les Frères Scott et Becca dans The boys. Du beau monde pour un projet très ambitieux. La saison 05 est en cours de production et un spin off sur la conquête spatiale côté URSS est annoncée.

Une tension savamment dosée
Bref, c’est l’histoire d’hommes et des femmes obsédés par la conquête spatiale et qui sont prêts à ne pas respecter les règles tant la politique ne les intéresse pas. Du sacrifice, des morts, des larmes. Le prix à payer pour conquérir ces territoires vierges. Une Humanité suspendue à sa télé pour suivre en direct quelques uns d’entre eux poser le pied sur un sol que l’on croyait inatteignable. Et une écriture suffisamment efficace pour que quelques épisodes me stressent bien, notamment quand un astronaute ou cosmonaute se retrouve éjecté dans l’espace avec peu de chance de s’en sortir. Alors oui, ce côté “grands héros américains” peut agacer parfois mais moi, je suis à fond.



