C’est un truc assez dingue. Dès que les réseaux sociaux apparaissent dans une dystopie, voire qu’ils en sont le coeur, c’est pour en faire la pire menace de la société. Alors quand on écrit des dystopies, ce n’est pas pour raconter des jolies histoires mais tout de même, ce trait m’interroge. Alors comprenez bien que je vais pas parler de réseaux sociaux en tant que tels mais cette vie online que l’on mène en permanence. Par soif de reconnaissance, pour l’essentiel.
Storytelling de nos vies
A tout Seigneur, tout honneur, dès qu’on pense dystopie sur les réseaux sociaux, on pense à ce superbe épisode de Black Mirror avec Bryce Dallas Howard où la société est régie par votre popularité. Je me souviens quand cet épisode est sorti, tout le monde était en mode “ça fait peur parce que ça ressemble déjà à la vraie vie”. Un des meilleurs épisodes selon moi. Et c’est vrai que ça fait écho à pas mal de choses. Les burn-out des Instagrameurs, Youtubeurs, influenceurs de tout poil qui se retrouvent pris dans un engrenage à partager toujours plus, vivre toujours plus fort. A la notation chinoise pour décréter qui peut sortir du territoire et qui ne le peut pas. A chaque fois que l’on poste un contenu sur les réseaux, c’est du storytelling pour raconter une vie jolie.
De noires corporations
Et puis bien évidemment, nous avons The Circle. L’abandon total de la vie privée où tout est diffusé en live, la distorsion du réseau social pour faire justice soi même avec la traque d’une fugitive. Le personnage que l’on suit, Mae, y perd son âme. Après, il est question des plans sombres de la vilaine corporation mais cette partie était peu claire. Euphémisme. Autre corporation démoniaque qui veut utiliser les réseaux sociaux pour tout savoir de vous : Ming dans M, le bord de l’abîme. Les réseaux sociaux nourrissent une IA de type Alexa qui, détournée de son but initial d’assistant de vie, est prévu pour remplir les sombres desseins de son créateur. Oui, les corporations ne nous veulent jamais du bien dans les dystopies.
Les réseaux sociaux ne sont jamais dans le camp du bien
Il y a une belle unanimité, il me semble. Peut-être ai-je raté un contre-exemple mais les réseaux sociaux sont toujours présentés comme le mal. Un peu comme dans les médias où ils sont rarement vus comme quelque chose de bien. Alors que ça peut aussi être positif, de belles solidarités peuvent s’y organiser. Les réseaux sociaux ne sont rien de plus qu’un bar virtuel géant, le fameux café du commerce où chacun vient y raconter ce qui l’intéresse, écouter ce qu’il a envie de savoir. Et déverser sa haine, parfois. Mais ce n’est que l’échelle qui fait peur. Le harcèlement online est flippant car il implique de très nombreuses personnes, de parfaits inconnus qui viennent tout à coup vous haïr au point de vous menacer des pires choses. Mais le harcèlement n’a pas démarré avec les réseaux sociaux…
Et la nuance ?
Je vois toujours un réflexe d’ok boomer sur ces sujets. J’ai été assez virulente sur M, le bord de l’abîme à ce sujet mais tout ça manque de nuance. Mais pourquoi ça fait aussi peur, les réseaux sociaux ? Car, à l’instar de Mae, on y vend son âme. On délaisse sa “vraie vie” pour exhiber une version de nous plus fantasque et aventureuse. On vend nos données personnelles sans trembler car il faut paraître. Absolument, tout le temps. Et comme pas mal de choses dans les dystopies, cela menace notre intégrité, notre santé, notre humanité. Tout en perdant de vue l’essentiel comme notre famille, nos amis et tout ce qu’il ne tourne pas rond dans nos sociétés.
Il manque juste l’essentiel
Situés entre péril technologique et abrutissement par le divertissement, les réseaux sociaux sont érigés en grand péril, au même titre que la télévision. Et j’avoue que ça titille, cet abandon total de pudeur, de secret, cette mise en scène frénétique du soi. Mais est-ce le réel ennemi ? Pour moi, on rate le point essentiel sur les réseaux sociaux. Le péril n’est pas tant les photos que l’on poste mais les armées de bots qui diffusent de la fake news par kilotonnes. Les réseaux sociaux mériteraient un traitement bien plus proche de 1984. Et ça, je ne l’ai pas encore vu.
Un postulat qui est absent de l’épisode de black mirror et même de the circle, probablement parce qu’il a été intégré totalement, c’est l’intérêt que l’entreprise a à faire ça. L’intérêt n’est bien sûr pas difficile à trouver, c’est gagner de l’argent. Ils partent du postulat que l’entreprise en soi est amorale et cherchent à trouver le pire qu’il pourrait arriver, puisque le but de l’entreprise et le bien-être de la société ne correspondent pas forcément. Je manque un peu d’imagination mais maintenant je ne suis pas sûr que ces auteurs l’aient bien trouvé, ce qu’il pourrait arriver de pire.
les deux films dont tu parles sont centrés sur l’engagement volontaire et le narcissisme des utilisateurs, mais la collecte de masse et l’utilisation de plus en plus de données dans de plus en plus de domaines différents, et la désinformation de masse, sont des sujets bien plus préoccupants. Malheureusement ils sont moins télégéniques, donc c’est pas demain qu’on en fera un film