Il y a deux semaines, je vous ai parlé de l’Odyssée du temps d’Arthur C. Clarke et Stephen Baxter en expliquant rapidement que j’en avais besoin pour vous parler de la BD Renaissance. Il est donc temps d’aborder ensemble cette hexalogie, très ambitieuse dans sa narration et remarquable dans son exécution. Mais au-delà de cette histoire qui mêle crépuscule de l’Humanité et intrigues politico-intergalactiques, une question : l’Humanité mérite-t-elle d’être sauvée ?

L’Humanité va disparaître
2084, l’Humanité est aux abois. Entre virus mortels et catastrophes naturelles, les morts se comptent pas milliers. Hélène et sa famille sont réfugiés au premier étage de la Tour Eiffel dans un Paris submergé. Alors que son mari et son enfant sont touchés par une forte fièvre et que tout le camp est menacé, apparaît dans le ciel… un ovni. Car la Terre vient d’intégrer, malgré elle, un programme intergalactique de sauvegarde “Renaissance”. Plusieurs races extraterrestres décident d’aider les Humains à sauver leur planète. Mais évidemment, ils ne sont pas accueillis à bras ouverts.

Un nouvel espoir ?
Renaissance est une oeuvre particulièrement intéressante car on est à la limite de la fausse dystopie. On connaît bien les fausses utopies, ces récits qui commencent dans une société idyllique avant que le vernis ne craque. Nous, Un bonheur insoutenable, Logan’s run, Le passeur, Happycratie, Nouvelle Babel… Ici, c’est plutôt l’inverse : on commence comme dans un cauchemar en ayant la promesse de lendemains meilleurs. Les extraterrestres semblent animés de bonne intentions. Hélène et l’extraterrestre Sätie vont s’allier pour éradiquer le fameux virus tandis que Liz, une pompière du Texas, va recevoir l’aide de Swann pour éteindre les feux qui ravagent des puits de pétrole. En très clair : le programme Renaissance est décidé à montrer immédiatement ce qu’il peut apporter à l’Humanité. Alors que les dystopies tuent en général l’espoir, ici, c’est précisément l’inverse.

Des sauveteurs mal accueillis
Sauf que. Evidemment, dans un premier temps, des Humains sont plus qu’opposés à l’arrivée de ces individus dont on sait peu de choses. Cette résistance va s’incarner à travers plusieurs archétypes. Il y a tout d’abord ce réflexe guerrier d’aller tabasser ceux perçus comme des envahisseurs. Une réaction attendue par les extraterrestres qui répondent à la violence par le calme… et la drogue, un peu. Plus tard dans le récit, nous découvrirons que des Humains ont fait le choix de vivre dans des zones qui échappent au programme Renaissance. Dans ces enclaves se développe un sentiment que l’on peut facilement qualifier de raciste vis-à-vis des extraterrestres et ces groupuscules vont s’opposer plus ou moins violemment à leurs envahisseurs.

Ici, radio pirate
Dans cet univers, on va également trouver une radio pirate. C’est un ingrédient de dystopie que j’aime toujours bien. Je l’ai croisé récemment dans The kitchen, Toxoplasma. Plus loin, on pense à Dark Angel, Hunger Games ou même Ultimate Game avec le piratage plus ou moins poussé de médias officiels. Et comment ne pas citer V pour Vendetta. Ces médias pirates ont pour avantage d’aider franchement la narration en nous proposant une autre lecture des événements ou juste nous donner des informations que nous ne sommes pas censés avoir. Oui, Radio Résistance est parfois de la pure triche narrative. Un peu le cas dans Renaissance où cette radio pirate sert surtout à faire un point sur l’intrigue, l’hexalogie se déroulant sur un temps long.

Une IA esclavagiste
Renaissance va aussi traiter d’autres sujets que l’on a déjà croisés dans les dystopies. On va, par exemple, avoir tout un arc narratif sur une IA qui a esclavagisé les Humains dans une cité de la banlieue parisienne. Ici, c’est un peu le classique. Une super résidence domotisée a été construite mais avec l’effondrement, l’intelligence artificielle qui régit le bâtiment a gagné en autonomie et réduit les habitants en esclavage pour avoir son apport en énergie et survivre. Ou comment une technologie pensée pour le bien des Humains va les dépasser et finir par leur nuire.

Entre origamis et vaisseaux organiques
Renaissance s’amuse également beaucoup avec les technologies comme ces représentations de personnages en impression 3d qui permettent d’assurer une présence physique à des personnages trop éloignés. Des personnages photocopiés, deux fois que je croise cette notion en peu de temps… Même si dans Mickey 17, l’impression est totalement organique et n’est pas censée s’autodétruire après utilisation. Quoique… Les auteurs se sont également appliqués à proposer des designs de vaisseaux radicalement différents, du très organique au très symétrique selon la civilisation concernée. Si j’ai bien aimé les origamis, j’avoue que les machines au look organique sont absolument incroyables.

Une planète avec plein de beaux penseurs
En parallèle du sauvetage de la Terre, on va également trouver des intrigues politique au sein de la confédération intergalactique. Car si certains extraterrestres sont tombés amoureux de la Terre et de ses habitants et veulent sincèrement la sauver, d’autres sont surtout intéressés par les ressources. On va retrouver dans ces passages la glorification de l’art Humain qu’il vaut sauver à tout prix. On pourrait résumer ces dialogues à “oui, ok, ils détruisent leur planète mais ils ont de super penseurs” ou à peu près. Là encore, un classique des dystopies : l’Humanité mérite-t-elle d’être sauvée ? Et si elle est menacée, comment on sauve ce qu’elle a pu créer de plus beau ? On retrouve ça dans le fameux Odyssée du temps, donc, ou dans Le problème à trois corps. Sauf qu’ici, les extraterrestres veulent intervenir pour sauver l’Humanité, pas la détruire.

La Terre, un enjeu politique
Mais ce choix reste discuté. On a droit à des scènes où des diplomates extraterrestres discutent entre eux de ce qu’il faut faire de l’Humanité, des séances plénières dans une immense assemblée où chaque race extraterrestre a ses ambassadeurs. Comme dans Star Wars ? Absolument. Mais en plus subtil, je dirais. Surtout qu’ici, ça discute sur le fait de sauver une civilisation ou non. Notamment quand une civilisation extraterrestre ne faisant pas partie de la confédération décide de venir attaquer la Terre pour récupérer le pactole. Voyons, une planète attaquée par une autre, agit-on ou laisse-t-on faire ? Ca me rappelle quelque chose de la vraie vie, ça…

Une colonisation vertueuse
Bref, Renaissance est un véritable coup de coeur pour moi. Déjà parce que c’est très beau. On peut parfois trouver quelques ficelles un peu grosses ou soupirer que “hé mais c’est exactement comme Star Wars”. Sur ce point, j’ai envie de répondre “oui, et ?”. Une assemblée politique est une assemblée politique. Mais ce que j’aime surtout dans Renaissance, c’est que ça m’a ouvert quelques pistes de réflexion. Au-delà du récit, il y a cette question, soulevée par la radio pirate : est-ce que, sous prétexte de sauver une civilisation, on peut la priver de son libre-arbitre. Car je parle de politique, d’assemblée mais vous savez qui est absent des scènes politiques ? Les Humains. On leur concède des territoires hors technologie extraterrestre mais au global, les Humains sont priés de se laisser faire, merci.

Les sauveurs sont-ils des héros ?
Et c’est super intéressant car les extraterrestres, notamment Swann et Sätie mais aussi Pedrö sont présentés sous un jour favorable. On les voit être convaincus d’agir pour le mieux, être déboussolés face à l’agressivité des Humains alors qu’ils viennent pour les sauver. On pourrait même, nous, lecteurs, les voir comme de purs héros. Mais il y a la petite voix discordante. Celle de la radio pirate qui a, certes, des petits relents complotistes. Mais qui va avoir un arc plus intéressant que le cliché auquel on pourrait s’attendre.

Et une prélogie pour ceux qui en veulent plus
Bref, Renaissance, je conseille. Je conseille tellement que j’ai entamé “Apogée”, une nouvelle série qui se passe avant l’intervention, ou l’invasion, sur Terre avec des races extraterrestres qui nous sont désormais familières. Niveau intrigues politiques et résistance, ça commence très fort. Avec une planète “qui ne fait aucun effort pour préserver ses ressources parce qu’elle investit à fond dans sa technologie”. Tiens, ça me rappelle vaguement un truc de la vraie vie, ça…