0Récemment, j’ai lu Le mur invisible de Marlen Hausofer, un court roman sur une femme seule survivante d’une catastrophe. Initialement, je n’avais pas prévu d’en parler ici. J’ai aimé ce roman. J’en ai dit du bien par ailleurs. Mais il n’y avait pas matière à faire une analyse dystopique. Et puis, cette oeuvre est entrée en résonance avec une autre. Un homme qui survit, seul, au coeur de New York. Ah oui, Je suis une légende comparé au Mur invisible, il y a quelque chose à dire.

Une femme isolée d’un univers mort
De quoi parle Le mur invisible ? C’est l’histoire d’une femme en vacances dans le chalet de montagne de sa cousine. Un soir, cette dernière, accompagnée de son époux, décide de sortir en ville. Notre héroïne préfère rester au chalet et se couche avant que ses hôtes reviennent. Elle se réveille le lendemain en constatant que le couple n’est pas revenu. Dans la journée, elle découvre un mur invisible autour du chalet qui l’isole du reste du monde. Cependant, à travers le mur, elle aperçoit les habitants de la ferme voisine : pétrifiés. Enfermée dans son étrange bulle, elle réalise qu’elle est certainement la dernière humaine vivante. Petit à petit, elle organise son quotidien entre travail des champs, soin à sa vache et réflexion sur la société à laquelle elle a appartenu et qui semble avoir disparu.

Un médecin à la recherche de l’ultime vaccin
Est-ce la peine que je résume Je suis une légende ? A tout hasard… Une docteure met au point un antidote contre le cancer basé sur le virus de la rougeole et provoque une épidémie d’une maladie qui transforme les gens en créature étrange. Resté seul à New York, le docteur militaire Robert Neuville essaie de trouver un remède. Son objectif : soigner les malades transformés en zombies-vampires.

Tout balayer puis créer une nouvelle société
La dystopie de type “Robinson Crusoé” est un genre assez prisé. Il permet de créer de nouvelles sociétés sur les cendres de l’ancienne, imaginer de nouvelles organisations, offrir quelques réflexions sur la civilisation perdue. Le point de départ est souvent un terrible virus qui provoque un effondrement. Je pense à Anna, L’année du Lion, la partie Zachry de Cloud Atlas, Le livre de M…ou la plupart des fictions de zombies comme The Walking dead ou 28 ans plus tard puisque les survivants ont eu le temps de se réorganiser en société. La route également avec des personnages en errance. Le mur invisible joue plus la partie “naufragés”. Une femme coupée du monde contrainte de se réorganiser. Là, on pense plus à des fictions comme Under the dome ou Lost. Oui, dans Lost, y a pas de dôme mais ils sont quand même prisonniers d’un espace donné. Et, évidemment, sa Majesté des Mouches.

Se donner l’illusion d’une vie qui continue
Bref ces fictions se posent la question de l’effondrement, du quotidien dans un univers où il n’a plus de sens. Au début de son isolement, l’héroïne du Mur invisible suit le compte des jours, a un réveil qui lui permet de mesurer les heures. Robert Neuville, lui, se passe une vieille vidéo d’une chaîne d’info en continu où une femme annonce, tout sourire, qu’il neige et qu’on aura un Noël blanc. Alors certains pourraient se demander comment le Docteur Neuville a encore de l’électricité dans un monde effondré et qui enregistre une chaîne d’info en continu où une femme dit qu’il neige… Mais on va accepter le fait que c’est parce que Neuville veut se souvenir de la civilisation. D’ailleurs, il a disséminé des mannequins de magasin partout en ville pour simuler la vie.

Qu’est-ce que l’Humain civilisé ?
Ces fictions nous offrent des clés pour comprendre ce qui, selon leur auteurice, fait l’Humain civilisé. Si Neuville espère trouver d’autres Humains, diffusant un message à la radio pour les attirer, l’héroïne d’un Mur invisible sait qu’elle est seule. Elle a à charge quelques animaux, ce qui la maintient dans une certaine routine. Au début, elle envisage que son sort est dû à l’attaque d’un pays ennemi et que, forcément, les vainqueurs finiront par se pointer. Puis elle finit par admettre qu’il n’y a plus de vie au dehors. Pourtant, elle poursuit sa routine et couche même ses mémoires par écrit. Tant qu’il y a du papier… L’occasion pour elle de livrer des réflexions sur la société et la place qu’elle y occupait, comment elle suivait les règles. Même celles qui l’ennuyaient.

Un besoin humain de dialoguer
Neuville n’écrit pas. Il documente certes ses recherches scientifiques avec un dictaphone. Archives qui ne serviront pas, au demeurant. Fait cependant intéressant : Neuville et la survivante parlent. A leur chien, la plupart du temps. Neuville a également ses mannequins. D’ailleurs, quand son chien disparaît, il supplie, quasi en larmes, un mannequin de lui repondre. Dans le Mur invisible, l’héroïne avoue que la mort de son chien la prive de conversation et ça semble lui peser. Je parle de parole mais il faudrait plutôt parler de dialogue. Ces Humains isolés ont un besoin crucial d’interactions. On retrouve cette idée dans Silo où Jimmy, isolé dans le Silo 18, noue une relation forte avec un chat.

S’inventer des amis
Évidemment que ce qui fait société, ce sont les interactions avec autrui. Dans Seul au monde, le naufragé dessine un visage sur un ballon pour se créer un compagnon. Idée reprise dans The last man on Earth, une série très caustique sur une Humanité ravagée par un virus. Ici aussi, le héros cherche à reconstituer une communauté et sème des messages à travers tous les États-Unis pour signaler sa présence.

Voyage pour trouver des survivants
Ça aussi, c’est un classique des fictions post-effondrement américaines. Le grand road-trip pour retrouver une communauté survivante. C’est le point de départ de The Walking dead avec un Rick déboussolé qui cherche âme qui vive. Les survivants erreront ensuite dans la Géorgie, se trouvant quelques ports d’attache au fur et à mesure de leurs pérégrinations. Même si, pour moi, la première fiction de périple dans une Amérique post-effondrement, ça reste le Fléau avec les coeurs purs qui voyagent vers Boulder tandis que les coeurs noirs se dirigent vers Las Vegas. Un contre-pied notable avec Je suis une légende où Robert attend que des survivants viennent à lui et refuse obstinément de quitter New-York.

Et ceux qui fuient les autres Humains
La Route offre un contre-exemple intéressant à ce réflexe de faire société. Alors que ces fictions post-effondrement aiment se faire rencontrer des âmes solitaires pour qu’elle puisse construire une nouvelle civilisation qui aurait appris des erreurs de la précédente… Croyance contredite par l’actualité qui nous prouve que, non, l’Humanité n’apprend pas bien. Bref, ces fictions se servent de ces proto-civilisation pour poser une analyse critique de la société actuelle. Mais parfois, nous avons droit à une fiction où le personnage en errance refuse l’idée de s’allier à qui que ce soit, gangréné par une peur panique de l’autre. Plus ou moins justifiée. C’est le cas du père dans La route. Dans le Mur invisible, l’héroïne se dit plutôt soulagée de ne pas avoir d’Humain avec elle dans sa bulle car le plus grand danger, ce sont les Hommes. Conclusion partagée par The Walking dead mais aussi Je suis une légende puisque Neuville nous rappelle que le virus a été créé par l’Humain. Même si ses intentions étaient pures. L’attaque sur les ponts de New-York pour éviter aux malades de fuir, par contre…

Un héros bien bonhomme
Mais si Le mur invisible est autant entré en résonance avec Je suis une légende chez moi, c’est par rapport à la différence d’attitude des personnages. Alors que l’héroïne d’un Mur invisible prend sa nouvelle vérité de façon placide, consciente de ses limites, Je suis une légende nous présente un survivant qui semble avoir quelques soucis avec son agressivité virile. Passons sur la première scène. Une sorte de pub gigantesque pour une voiture sur boostée qui permet à notre bon vieux Neuville de faire des drifts que ne renieraient pas de jeunes hommes désœuvrés qui crament de la gomme en conduisant façon GTA sur le parking d’Auchan le samedi soir. Scène assez gênante qui a mal vieillie, d’ailleurs. Je suis une légende nous présente un personnage ambivalent. A la fois super fort à la bagarre, évoquant son personnage dans Independence Day, scientifique de génie, évoquant le personnage de Jeff Goldblum dans Independence Day, Neuville semble peu à peu sombrer dans la folie. Au point qu’il part s’embrouiller avec un de ses mannequins, tombe dans un de ses pièges et provoque indirectement la mort de son chien. Mais son sacrifice ultime en fait une légende. Sacrifice ultime totalement inutile car… une grenade, ça ne pète pas instantanément. Mais hé, un grand héros doit savoir partir en beauté…

Pourquoi survivre ?
On touche là aussi un questionnement assez insidieux des dystopies solitaires à savoir la raison de la survie. Pour Neuville, c’est l’espoir de trouver un vaccin et redonner vie aux vampires zombies. Pour l’héroïne du Mur invisible, c’est sa responsabilité vis-à-vis de ses animaux. Il faut trouver une raison à ces personnages de continuer à vivre malgré tout. D’ailleurs, la question d’en finir se pose parfois. Pas forcément frontalement. Mais quand Neuville, désespéré d’avoir perdu son chien, va en ville dégommer du zombie vampire avec sa voiture, même pas celle de la scène d’intro, on sent qu’il y a une volonté d’en finir. Enfin, j’espère. Je n’ai pas un attachement fort au personnage de Neuville mais je n’ose imaginer qu’il soit con à ce point. Quoi que quand il met à mal les défenses de sa forteresse en faisant tout péter aux alentours, on se demande… D’ailleurs, la scène de l’attaque de sa planque m’a fait un peu fait penser à American Nightmare avec une forteresse qui contient bien plus de failles que prévu.

Des ingrédients intéressants maiiiiis…
Bref, cette petite analyse comparée m’a surtout servi de prétexte à aborder ces dystopies solitaires où l’humanité a disparu sauf un·e. Si je vois recommande chaudement Un mur invisible, j’ai plus de mal avec Je suis une légende et son personnage qui semble avoir des os en titane. 1h30 de Will Smith show, acteur que je ne trouve pas extraordinaire, c’est un peu beaucoup. Et le virage mystique vers la fin du film, c’est non. En plus, je trouve que ce film a très mal vieilli sur ses effets visuels. Pourtant, je trouvais que le film proposait des ingrédients intéressants comme la thérapie qui vire mal, le survivant au bord de la folie, sa volonté de mimer la civilisation. Manquait juste la subtilité


