Corpus X : le pire arrive discrètement

Les dystopies aiment poser le pire comme soudain et brutal. Alors que Corpus X prend le parti de raconter la discrète montée du fascisme…

Un des thèmes qui m’intrigue le plus dans les dystopies, c’est la notion d’effondrement. Pas forcément une collapse, hein. Il peut y avoir une fin de civilisation due à une guerre, une maladie, une catastrophe écologique, une bombe nucléaire… Mais la démocratie telle qu’on la connaît peut subir une longue agonie jusqu’à s’éteindre dans l’indifférence générale. Comme dans La servante écarlate où la montée de pouvoir de Gilead inquiète peu. Dans Corpus X de Frederic Bischoff, on va suivre ce même processus lent… discret mais implacable.

Corpus X, Frédéric Bischoff

Une société française qui se polarise

L’histoire : dans une futur proche, la France est en proie à de nombreuses manifestations sauvages le week-end. Ces manifestations sont aussi soudaines que destructrices et agacent légèrement l’exécutif. La nouvelle Ministre de l’Intérieur va donc utiliser des trésors de technologie pour calmer ces manifestations. En parallèle, la société se verdit : les potagers communs fleurissent et des zones urbaines sont dédiées à la végétalisations. Des micro-communautés se voulant bienveillantes se montent de ci, de là. Les élections présidentielle arrivent et le second tour oppose la Ministre de l’Intérieur, Elisabeth Da Silva, et un trublion humoriste proche des mouvements contestataires, Bob Martial. Arrivé en 3e position, le candidat de « Liberté Française », Louis Dartois, est en embuscade.

Un potager partagé en ville
Photo prise à l’espace Darwin à Bordeaux, lieu fort chouette

Une technologie à double tranchant

Da Silva gagne et déploie toujours plus de technologie. La première manifestation post élection est vite matée. Les manifestants, identifiés grâce à des capitules électroniques qui les « marquent », sont arrêtés et condamnés à des travaux d’intérêts généraux. Rapidement, la contestation diminue voire s’éteint en France. Le pays s’apaise et se technologise avec un ciel blindé de drones faisant de la surveillance, des livraisons… Jusqu’à ce qu’une série d’attentats particulièrement violents réalisés grâce à des drones secoue le pays. La droite et extrême droite, menée par Dartois, montrent du doigt les islamistes radicaux mais l’enquête n’avance pas. Et toutes les voix cherchant dans une autre direction sont vite éliminées…

Drone de surveilllance

Un glissement progressif

Corpus X se présente comme une collection de documents nous faisant découvrir, page après page, l’évolution de la situation. Articles de presse pour l’essentiel, quelques tracts, des courriers personnels… L’auteur oppose par petites touches les différentes forces en présence, nous présente une société qui évolue vers plus de technologie et d’écologie… mais avec un repli assez marqué sur elle-même et un retour de plus en plus fort du traditionnalisme. Car ce que Frédéric Bischoff raconte dans ce roman, ce n’est ni plus ni moins que la possible dérive de notre pays. Et pas simplement par le fait d’un ou deux politiques mais par un glissement progressif.

La presse fait le lit de l'extrême-droite

Le sacrifice au nom de la sécurité

Corpus X est, de mon point de vue, extrêmement bien construit et ce pour deux raisons. D’abord le fond. On se demande où on va. Si l’élection de Da Silva en début de roman étonne peu, on connaît les parcours fulgurants de certains Ministres de l’Intérieur dans un pays qui aime l’ordre, on se demande vite où ça va déraper. L’autoritarisme soft, la surveillance de masse et le tout sécuritaire semble l’apenage de Da Silva qui me paraît être d’une gauche soc-dem mais quand on bascule en zone attentat, là… Car le roman ne fait que raconter que ça : à quoi est-on prêt à renoncer pour notre sécurité ? Alors que les compromis avec la démocratie se multiplient, le peuple laisse passer, inquiet pour sa sécurité. Et le fait d’avoir choisi la voie journalistique rend le tout effroyablement réel. J’ai aimé lire ce roman car je n’avais pas l’impression de lire une fiction. Je découvrais certes les événements au fur et à mesure des articles mais dans un langage que je connais et côtoie au quotidien.

La montée du fascisme en France
Evidemment, le parallèle est fort…

Un avant-goût du pire

Bref, j’ai trouvé que Corpus X est une belle réussite et je vous encourage à vous y plonger dedans. Car au vu de ce qui est en train de se dessiner actuellement, on n’est pas si loin de ce qui pourrait se passer. Sauf que l’extrême-droite, elle ne se présentera même pas par la petite porte, si ça continue.

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