Le Passeur, bienvenue dans un monde insipide

Souvent considéré comme une énième dystopie pour ados, Le passeur offre pourtant une histoire plus profonde qu’on pourrait le croire

Quand j’ai lu Un bonheur insoutenable, j’ai manqué un battement de coeur. Zut, j’étais en train d’écrire une fausse utopie très proche. Trop ? Me fallait-il jeter mon travail à la poubelle ? Et puis j’ai découvert Le passeur. Je me suis dit qu’après tout, on pouvait broder mille variations sur un même thème sans le galvauder. En proposant même quelque chose de joli et de poétique. Donc aujourd’hui, penchons sur sur cette délicieuse fausse utopie où un garçon qui découvre le monde va se retrouver confronté à une leadeuse charismatique incarnée par une immense actrice. Aujourd’hui, parlons du Passeur.

Le Passeur

L’histoire d’un ado un peu particulier

L’histoire : Jonas est un adolescent lambda dans une communauté en noir et blanc située quelque part au-dessus des nuages. Il se déplace en vélo avec ses amis et vit sa meilleure vie. Mais il sent qu’il y a un truc un peu différent chez lui. L’histoire commence la veille de la cérémonie de la désignation. Ses amis Asher et Fiona voient venir ce moment sans pression, leurs aptitudes les destinant à devenir naturellement employée de la pouponnière et pilote de drone. Jonas, lui, doute. Rien ne lui paraît évident d’autant qu’il voit des choses bizarres comme une étrange couleur dans les cheveux de Fiona. En attendant, on découvre un peu les us et coutumes de la communauté : l’extrême politesse puisque les personnages passent leur temps à s’excuser, ne mentent jamais, ne se touchent pas. On découvre aussi la cellule familiale de Jonas. Le papa qui travaille à la pouponnière et qui est très inquiet pour le sort de Gabriel, un bébé qui n’est pas assez mature pour être distribué et risque d’être « élargi ». Tué en plus délicat. La maman, glaciale qui ne supporte pas le moindre écart de la ligne officielle. Lily, La soeur reloue. Mais c’est une petite soeur de cinéma. Donc elle a l’air sous drogue euphorisante et s’extasie et crie tout le temps.

Le passeur, la cellule familiale de Jonas

Un destin hors norme

Mais c’est le jour de la cérémonie ! On va d’abord présenter les bébés qui vont être distribués aux cellules familiales. Puis les personnes âgées qui vont être élargies pour laisser place à la jeunesse. Les enfants de neuf ans, dont Lily, reçoivent un vélo, première étape vers l’autonomie. Et enfin nos jeunes Jonas, Fiona et Asher vont découvrir leur destin. La cérémonie est animée par la leader, sorte de présidente du conseil des Sages, jouée par Meryl Streep. Un peu le boss ultime de l’actrice qui joue un leader charismatique dans une dystopie adolescente, oui. Et alors qu’elle appelle les adolescents, elle saute le tour de Jonas qui finit donc seul sur scène. Car il va avoir droit à une nomination spéciale : il va devenir le nouveau gardien de la mémoire. Il va donc devoir passer du temps avec l’actuel gardien pour tout apprendre avant que celui-ci ne se retire pour être élargi.

Meryl Streep dans Le Passeur

Un casting remarquable

C’est via l’actuel gardien qui se fait appeler le passeur que Jonas va découvrir la vie d’avant. Celle avec les couleurs, la musique, la danse, l’amour. Mais aussi la maladie, la guerre et la mort violente. Jonas va peu à peu retrouver les couleurs et réaliser qu’il est amoureux de Fiona. Mais il va aussi essayer de sauver Gabriel, l’enfant jugé immature. Alors qu’il est en fait doué comme lui. Je m’arrête là pour le résumé. Alors narré comme ça, on se dit « Ah ouais, encore une énième dystopie pour ados portée au cinéma. Avec un joli garçon et une jolie fille dans le rôle principal et quelques acteurs un peu prestigieux ». Oui parce que le casting de The giver est une curiosité en soi. Outre Meryl Streep, on a Jeff Bridges dans le rôle du Passeur, Katie Holmes dans le rôle de la mère et Alexander Skarsgard dans le rôle du père. Parenthèse : arrêtez de filer des rôles de salaud sans coeur à cet acteur. Il est beaucoup plus intéressant dans le rôle d’un père bienveillant. On a même Taylor Swift qui nous offre un second rôle qui tient plus du caméo mais pourquoi pas. The giver ou Le passeur souffre pas mal d’être le dernier avatar de ces séries de film. Les critiques que j’ai pu voir sur les réseaux commencent en général par « ah, encore un film où un ado va sauver une communauté opprimée. » Heu mais vous avez vu le film ?

Le passeur : Fiona et Jonas

Une société pas si effroyable

Oui, Jonas va tenter de sauver la communauté et Gabriel mais c’est pas tant le sujet. Les résumés officiels tournent pas mal autour de ça mais ça manque juste l’essentiel. Parce que ce choix ne se fait pas sans mal. En découvrant cette autre vérité, Jonas souligne en creux à quel point la vie dans cette communauté est devenue insipide. On a voulu supprimer les passions humaines pour sauver l’humanité, justement. L’amour a été supprimé mais la violence et la guerre, aussi. On n’a plus peur de la mort car elle est douce. Elle arrive à un moment où il faut laisser la place. Alors qu’Hunger Games, Divergente ou le Labyrinthe nous décrivent des sociétés dont personne ne voudrait, Le passeur nous pose une question. Un dilemme : quel prix est-on prêt à payer pour se défaire du « mal » ? Ici, l’humanité a sacrifié son libre-arbitre et ses sensations, se droguant au quotidien via un système d’injection, assez proche de celui d’un Bonheur insoutenable. Mais ici, il n’y a pas de méchant. Personne n’agit dans son intérêt personnel ou pour des intérêts particuliers. Ceux qui ont le pouvoir ne font pas tout pour le garder, y a aucun enjeu là-dessus.

Le passeur : Jonas

Quelques maladresses mais j’ai aimé

Bien sûr, le film n’est pas exempt de quelques défauts. Le périple de Jonas pour sauver Gabriel est pas mal cliché, je trouve, la résolution attendue. Donc j’ai pas trop stressé sur le climax final. Cependant, c’est un reproche que je peux faire à 75% des fictions, au moins. Il peut y avoir un côté parfois un peu niais. Je ne suis pas sûre de comprendre quel a été le parti-pris sur le personnage de la mère qui semble un peu aigrie… alors qu’elle n’est pas censée avoir d’émotion. Mais ça reste joli. J’aime le jeux des couleurs. Même le relatif manichéisme sur la nature humaine, aussi bonne que destructrice, me paraît plutôt bien balancé. Bien sûr, reste qu’un ado de 18 ans impose à toute sa communauté son destin… Que ses copains apprennent beaucoup trop facilement à mentir ou à avoir des sentiments. Mais c’est joli et de toute la vague des dystopies adolescentes du début des années 2010, c’est ma préférée.

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