Les dystopies aiment l’amour. Je ne parle pas d’histoires amoureuses au sein de dystopies plus larges, non. C’est un ingrédient narratif comme un autre et un bon vecteur pour une entrée en résistance. Mais l’univers des applis amoureuses agite épisodiquement le monde dystopique. On pense immédiatement à Osmosis, par exemple. Et dans Love corp, on va à nouveau avoir droit à cette histoire d’âme soeur. Mais option bracelet qui vibre.
Trouver l’amour grâce à un bracelet
L’histoire. Dans un futur proche, une société commerciale un bracelet révolutionnaire. Après avoir passé des examens pour être référencé dans le Love corp, le bracelet vibrera si vous vous situez dans un rayon de 7m de votre âme soeur. Manu, un étudiant un peu timide et maladroit amoureux de la belle Margaux, décide d’acheter le bracelet en espérant faire vibrer celui de la belle étudiante. Mais c’est celui d’Emma, la professeure d’anglais, qui vibre. D’abord réticents à cette liaison sulfureuse, les deux vont se laisser aller à ce qui paraît être l’évidence : ils sont faits l’un pour l’autre.
Un couple en péril ?
En parallèle, on va suivre les aventures d’Adèle, une journaliste farouchement opposée au bracelet et à Love corp. Après de nombreux articles sur le sujet, elle décide de tester le bracelet pour pouvoir narrer un “vis ma vie”. Son mari, la sentant tracassée par le sujet, décide lui aussi d’en acheter un. Ils ne vibrent pas ensemble. Pour Adèle, c’est normal, car ils ne sont pas identiques mais complémentaires. Mais cette non-validation du bracelet risque de mettre leur couple en péril.
Une révolution qui ne fait pas l’unanimité
En résumé, cette BD nous propose différents points de vue sur la “révolution love corp”. Car on va très vite avoir les pour et les contre. Emma a dans son cercle amical “Titi”, un personnage qui se définit comme libre et ne supporte pas l’injonction de la mise en couple. La BD nous propose également quelques interruptions avec des articles de presse remettant un peu en cause le miracle Love corp. Soit en mettant en avant des communautés qui souhaitent avoir plusieurs partenaires de vie. Ou ceux qui ne vibrent pas alors qu’ils ont un bracelet depuis plus d’un an. Notamment l’étudiante Margaux.
L’amour, une histoire d’algorithme ?
On va aussi avoir les convaincus et ceux qui doutent. Adèle qui refuse d’écouter le bracelet quand celui-ci se met à vibrer, contrairement à son compagnon. Manu qui a donc une relation amoureuse avec sa professeure mais reste en proie au doute. L’amour n’est-il qu’une simple question d’algorithme ? Est-ce qu’un ordinateur, aussi puissant soit-il, peut déterminer mieux que nous qui nous est destiné car il s’affranchit de tout préjugé ? Typiquement : sans le bracelet, la relation entre Manu et Emma n’aurait jamais pu voir le jour. Même s’ils se plaisent mutuellement. Car la question de l’attirance physique n’est pas posée. Les quelques cas où l’on nous montre un bracelet vibrer, les personnages semblent systématiquement heureux de se découvrir. Emma et Manu hésitent parce que socialement parlant, leur relation est compliquée, voire interdite par le règlement de la fac. Ca aurait pu être une dimension intéressante à explorer.
Qu’est-ce qu’être humain ?
Mais au-delà de la question de l’amour sous algorithme, on en revient au questionnement classique des dystopies : c’est quoi être humain ? Sous-entendu : est-ce que l’amour est quelque chose qui peut se rationaliser ou les sentiments font-ils partie de notre condition d’Humain ? Dans les fausses utopies où l’Humain est canalisé dans son essence par des drogues, il n’y a plus de sentiment amoureux. Dès “Nous” d’Evgeni Zamiatine, les rapports “amoureux” se limitent à des relations sexuelles de pure forme n’ayant lieu qu’à certaines heures et réclamées via des billets. Souvent, les fausses utopies autorisent une certaine forme de sexualité (Un bonheur insoutenable) ou de plaisir sexuel (La balade de Lila K). Voire semblent supprimer tout ça comme dans Le passeur ou Destination Terra où le couple Père-Mère n’est pas lié à la procréation puisque les bébés sont conçus in vitro. On va découvrir dans la BD qu’il y a un activisme anti Love corp, précisément par ceux qui refusent que leur sentiment amoureux soit dicté par la technologie.
Un concept intéressant
Bref, Love corp est une BD en un tome assez intéressante pour les questionnements qu’elle pose. On switche un peu trop d’un personnage à l’autre pour créer un réel attachement et j’aurais peut-être été plus intéressée par un focus sur Adèle. Tiens, peut-être un projet de réécriture à venir… Toujours est-il que ce Love corp propose des questionnement intéressants et construit un univers cohérent. En reprenant le bracelet de type fitbit, il nous plonge dans un référentiel que nous connaissons déjà. A découvrir