Petite pause dans les chroniques dystopiques ! Je vous propose aujourd’hui une petite réflexion sur le but des dystopies et les comparer aux utopies. Cet article m’a été inspiré par une citation de Chloé Chevalier qui a écrit plusieurs romans de SF, notamment la dystopie “Les essaims”. Que je n’ai pas lu mais c’es dans ma liste de bouquins à lire. Dans la fameuse citation, Chloé oppose dystopie et utopie et ça a touché ma zone de réflexion. Analysons donc cette déclaration.

On voit les mécaniques mais empêcher la glissade
Il y a quelques années, inspirée par un Youtubeur qui avait réalisé une vidéo sur l’échec des dystopies à prévenir, j’étais déjà partie dans ma propre analyse. Aujourd’hui, j’ai l’impression que chaque glissement vers un autoritarisme ou une évolution technologique qui semble mal maîtrisée nous fait dire des “Wouah, on vit dans Black Mirror”. Ou “1984 n’est pas un manuel d’instruction”. Pour le coup, l’actualité commence à salement faire flipper. Si, dans 1984, on ne parlait pas de “post vérité”, le concept y était déjà présent. Et oui, on semble totalement glisser vers ce modèle de société. Effet pervers d’ailleurs, chaque camp politique accuse l’autre de faire de la “novlangue”, genre “le camp du Mal, c’est toi”. En général, ces personnes n’ont soit pas lu le livre, soit ne l’ont pas compris parce que ce qu’ils appellent novlangue n’a rien à voir avec celle du roman.

On connaît bien nos classiques
On a aussi La servante écarlate qui revient dès que les droits des femmes sont attaquées, Don’t look up dès qu’une catastrophe climatique a lieu mais qu’il ne se passe rien de plus. Idiocracy dès qu’on veut se plaindre des jeunes qui “se lobotomisent sur les écrans” ou des spectateurs de TPMP. J’avoue que la tentation est grande sur ces derniers… Et dès qu’un robot dégourdi apparaît, on cite Terminator. On vit donc globalement dans une société qui connaît ses classiques dystopiques mais qui… cite. Juste cite et se fait peur. En 2025, alors que Trump dirige la première puissance militaire au monde et qu’un milliardaire nazi qui a réussi à se poser en constructeur de fusées lui sert de bras droit, oui, on peut dire que la dystopie n’est peut-être pas le meilleur moyen de prévenir des dérives.

Finalement, la vraie vie n’est pas si pire
Chloé Chevalier a un point de vue intéressant là-dessus. Les dystopies, en nous racontant le pire, rendent le quotidien acceptable. Ca va, on n’a pas de caméra chez nous. 1984, c’est pire. C’est vrai que, par essence, la dystopie doit grossir le trait. C’est une société cauchemardesque où la plupart des citoyens sont englués. Ils ne connaissent rien d’autre, il n’y a pas d’alternative. 1984 parle d’un Etat guerrier qui cimente son peuple autour de la légende d’un ennemi commun. Et qui lutte contre ces Etats dystopiques ? Une poignée de résistants que l’on va suivre un peu passivement. On prend fait et cause pour eux, naturellement mais finalement, ça raconte que la chute d’un pouvoir dystopique peut se faire grâce à une poignée d’individus. Ca résonne pas mal avec les discussions que l’on a parfois dans la vraie vie, quand on assiste sidérés à l’actualité. “Mais pourquoi personne ne fait rien”. Peut-être attend-on des gens plus courageux que nous, qui ont moins à perdre… Ou pire, on attend l’Elu.

Il faut un Elu pour les guider tous
Les dystopies opposent souvent une Puissance cruelle et autoritaire à une poignée d’individus un peu idéalistes avec une figure quasi christique qui va renverser l’échiquier. Il n’y a ici aucun projet de société et une dystopie se termine souvent sur un affrontement entre l’Elu et cet antagoniste surpuissant. Soit l’Elu échoue et le pouvoir autoritaire se maintient. Soit l’Elu gagne, libère le peuple tel un Moïse des temps modernes et… fin. Juste fin. Quel type de société sera mise en place après ? Peu importe. Le peuple est libéré de son joug. D’ailleurs, si j’en reviens à Moïse, la fin de son histoire n’est pas folle. Il a libéré le peuple, il essaie d’imposer un certain ordre mais ce dernier préfère rester ancré dans ses anciennes croyances. Ingrats ! Est-ce que je suis en train de considérer que l’histoire de Moïse est une dystopie ? Un homme à l’incroyable destinée qui sauve un peuple d’un pouvoir oppresseur en étant littéralement l’Elu de Dieu ? En vrai, excellente base dystopique, oui.

La dystopie mène au conspirationnisme ?
Les dystopies appellent donc à la révolte face à un Etat autoritaire et à la prise de conscience individuelle. Dans ces histoires, le protagoniste principal a souvent une révélation en étant en contact avec un groupe révolutionnaire. Il a le choix entre poursuivre sa petite vie pas si infernale ou entrer en lutte. C’est posé littéralement comme ça dans Matrix. Pilule rouge, pilule bleue. Le problème, c’est que ça fait finalement le lit de pas mal de groupuscules conspirationnistes, finalement. Y a qu’à voir comment la pilule rouge a été récupérée par des groupes masculinistes. Ce qui est dingue quand on sait que la pilule rouge était pour symboliser la transition de genre des soeurs Wachowski. Elles le disent ouvertement, je n’invente rien. On touche ici à ce qui constitue le plus grand échec des dystopies : à force de raconter des manigances de pouvoir qui se trament loin du peuple ignorant, on instille cette idée que l’on ne sait pas tout,. Qu’il y a des vérités profondes à découvrir. Alors autant je ne crois pas que nos chers dirigeants soient transparents, autant nos élites qui organisent des trafics pédos dans une pizzeria ou des rites satanistes sous la Défense…

Comment raconter l’utopie ?
Et les utopies dans tout ça ? Oui, ok, les dystopies préviennent du pire, essaient de nous réveiller et ça marche de travers. Mais les utopies, à l’opposé ? J’ai toujours trouvé que les utopies constituaient un exercice narratif très compliqué puisque dans un monde parfait, il est difficile de faire advenir un récit. Quelques utopies jouent la carte du journaliste qui découvre tout ça soit en visitant un pays autonome, soit en voyageant dans le temps. J’avais moi-même envisagé un temps d’écrire une utopie qui serait secouée par un vent de panique : dans ce meilleur des mondes, l’Histoire meurt, il ne se passe plus rien. Mais en fait l’Utopie a un autre rôle à jouer : celui d’une révolution sociale. Celui de nous présenter un joli modèle de société auquel on pourrait croire.

Je suis trop cynique pour y croire ?
Sauf que. Suite à cette citation, je me suis dit que les utopies méritaient mon attention. J’en ai donc entamé une en début de semaine et… je bloque. Pas à cause du récit ou du style mais parce que je trouve ça trop naïf. Ou alors je suis devenue trop cynique. En gros, l’utopie s’amorce suite à un événement qui a ému “la Planète entière” et tout le monde décide d’engager une révolution. C’est un bel espoir et on va ensuite découvrir la société qui est proposée. Sauf que mon cerveau ne peut s’empêcher d’appeler des souvenirs d’événements choquants qui auraient dû faire prendre conscience. Regardez l’actualité : alors qu’on fête les 80 ans de la libération d’Aushwitz, le milliardaire aux fusées fait un double salut nazi en direct et on mégote sur la signification du geste. En 2015, le corps minscule d’Aylan avait été retrouvé sur une plage, ça n’a pas empêché qu’on continue d’empêcher les migrants de débarquer, on ne leur porte pas secours quand leur embarcation coule. J’avais pensé fut un temps que le réchauffement climatique serait pris en compte quand une grosse ville occidentale serait touchée. Force est de constater que non.

Trop naïves, les dystopies ?
Alors je pense que Chloé Chevalier a raison dans ses propos. Je partage totalement son avis et je vais sérieusement me mettre à lire des utopies. Mais si les dystopies échouent à prévenir, les utopies vont-elles échouer à faire espérer ? Sommes-nous condamnés à se sentir impuissants face à la montée du Pire et trouver le récit du Meilleur trop naïf ? C’est peut-être ce dernier point, précisément, qui pave le chemin des pires dictateurs.