Les Mandible, la dystopie économique

Comment raconter une crise économique entraînant l’effondrement des Etats-Unis ? Via une famille, les Mandible, qui va peu à peu tout perdre

La crise, ah, la crise. Etant une enfant des années 80, je crois n’avoir vécu que dans la crise, les chocs pétroliers m’ayant précédée. Les journaux qui se la jouent Cassandre, entre deux actus brûlantes, nous annoncent parfois que la bourse s’effondre. Va falloir se serrer la ceinture. Et c’est vrai qu’en 2008, les Etats-Unis ont subi une très grave crise. La fameuse crise des subprimes. Des millions d’Americains se sont retrouvés à la rue du jour au lendemain. Et si cette histoire n’était qu’une version ténue d’une crise majeure qui met les Etats-Unis à terre. C’est ce que nous raconte Les Mandible à travers quatre générations de la famille Mandible.

Les Mandible de Lionel Shriver

Une famille laminée par la crise

Nous sommes en 2029. Les Etats-Unis sont gangrénés par la pauvreté, résultante de multiples crises qui ont secoué le pays. Le roman s’ouvre sur Florence Darkly-Mandible qui prépare à manger dans sa cuisine. Elle garde l’eau sale pour la vaisselle, se lamente sur son sort. Son travail au centre d’aide à Brooklyn est de plus en plus compliqué avec tous ces pauvres. Et elle doit faire attention à son argent, surtout que la viande coûte de plus en plus cher. A partir de Florence, on va étendre la famille. Sa soeur Avery et sa parfaite famille bourgeoise. Son père Jimmy, sa tante Nollie, son grand-père Douglas, remarié à Luella, deuxième épouse désormais perdue dans le brouillard d’Alzheimer. Il y a aussi Jared, le frère survivaliste qui a créé sa ferme quelque part dans les terres. Sans oublier la famille nucléaire de Florence : son compagnon Esteban et son fils Willing. Nous allons donc suivre tout ce petit monde de 2029, début de la crise, à 2047. Enfin, on va surtout suivre 2029-2032 puis nous aurons droit à un petit saut dans le temps.

Succession, une famille américaine

Quatre générations dans la tourmente

Résumer ce roman est compliqué. D’abord parce que chaque famille va suivre sa trajectoire et s’effondrer petit à petit. Le dollar n’a plus aucune valeur, remplacé par le Bancor, une monnaie internationale qui nous rappelle le bon vieux temps de l’étalon-or. Spoiler : ça ne s’était pas bien terminé, cette histoire. Dans la famille Mandible, ce sont les plus riches qui vont s’effondrer les premiers . Le vieux Doug qui avait investi une fortune colossale dans différentes actions et, ne disposant que de dollars, se retrouva fort dépourvu quand la bise fut venue. Surtout avec une femme totalement dépendante. Il devra abandonner sa belle-maison pour s’installer chez son fils Jimmy. La famille d’Avery va également devoir vendre sa maison après que le père, Lowell, ait perdu son poste de professeur d’économie à l’université. La tante Nollie va également rentrer de France, lassée du racisme anti-américain dont elle est victime. Tout ce petit monde va trouver refuge chez Florence dont la petite maison va vite se retrouver saturée.

Une maison à Brooklyn

Quelques évolutions technologiques

Chaque famille va donc connaître une dégringolade, plus ou moins violente selon le sommet qu’ils avaient atteint. Nous avons également quelques éléments technologiques intéressants. Je m’agace souvent du manque d’évolution technologiques qui nous racontent un futur où rien n’a évolué sauf le sujet qui nous concerne. Ici, pas de grande évolution en soit puisque ça se passe dans pas si longtemps. Sauf trois points. Le FleX, sorte de téléphone mobile ultra fin, tellement que certains le passaient à la machine ou le jetaient par accident. Puis une puce traqueuse qui sert de compte en banque, condition sine qua none pour avoir un emploi et être payé. Enfin un système de domotique très développé dans la maison d’Avery, pouvant vous cuire un poulet sur commande. 

Mobile ultra fin

Plus dure sera la chute

Ce roman est assez intéressant en soi car il décrit l’effondrement sans retour des Etats-Unis. A la fin du roman, on comprend que les seuls emplois disponibles sont peu valorisants  et il faut souvent en cumuler deux pour y parvenir. Les personnages sont assez étourdis par ce qu’il leur arrive, ne comprenant pas comment on peut passer de tout à rien. En début de crise, il y a beaucoup d’arrogance chez les plus nantis des Mandibles qui ne se sentent guère concernés par cette énième crise qui passera, comme les autres. Sauf que ce sera la dégringolade. Mâtinée d’une malchance excessive, d’un Deus ex machina un peu trop taquin à mon goût.

Banqueroute américaine

Une lente désagrégation

Et on va toucher là le souci majeur que j’ai avec ce roman. Globalement, le sujet est intéressant. Les dystopies nous racontent souvent l’histoire de mondes où les cartes ont été rebattues. Là, on a la chance de découvrir le fameux monde d’avant en plein effondrement. Et c’est un effondrement crédible. Parce que ce roman est lent. La dissolution de la superbe des Etats-Unis s’étale sur des centaines de pages. Il n’y a pas tant de faits saillants. Le roman débute certes sur une décision politique du Président américain Alvarado qui jette littéralement le pays dans l’austérité mais la crise était déjà là. Et après tout, est-ce qu’un roman doit raconter une révolution rapide et gigantesque ? Non. Le sujet est intéressant et Lionel Shriver s’est très bien documenté, rendant sa saga quasi crédible…

La faillite américaine : Détroit

Une caricature un peu forcée

Quasi oui car y a un souci majeur : Shriver déteste les bourgeois. Pas dans une vision marxiste ou Usulesque, hein. Il caricature les riches familles américaines mais de façon un peu trop ridicule pour être crédible. On sent qu’il se délecte du malheur des bourgeois Mandible, les caricaturant à l’excès. C’est particulièrement flagrant sur le personnage de Lowell, professeur d’économie toujours très sûr de son fait qui va finalement se faire damer le pion par Willing, ado débrouillard qui comprend tout mieux que tout le monde et va mener la famille Mandible dans son exode. J’ai un peu trop senti la forte identification de l’auteur à ce personnage et c’est toujours un truc qui m’agace dans l’écriture. Avery, sorte de thérapeuthe new-age et sa mère Jayne qui a besoin d’une “pièce au calme” pour ne pas sombrer dans la dépression sont souvent décrites comme des femmes capricieuses, peu prêtes à sacrifier leur confort pour le bien commun et manquant cruellement de jugeotte. Le vieux Douglas va payer cher son deuxième mariage puisque sa bombe de nouvelle femme va devenir un vrai boulet au pied pour tous. Quant aux enfants d’Avery et Lowell, ils sont écrits avec un peu de méchanceté : la fille aînée, bombasse star du lycée, va aller se prostituer pour gagner sa vie, le deuxième fils Goog, va devenir un sale vendu inspecteur des impôts ou je ne sais quoi et le troisième Bing, va être regardé de travers par toute la famille à cause de ses crises de boulimie qui le poussent à taper dans les réserves familiales. Oui, ils s’appellent vraiment Goog et Bing…

Google & Android

Moralité ? Je suis pas sûre

Je ne suis pas certaine du message du roman. Parce qu’en filigrane, on nous explique que tout est la faute de l’Etat et du président Alvarado qui a provoqué la chute de son pays mais de l’autre, quand les personnages s’enfuient dans un Etat qui a fait sécession et qui patauge dans l’ultralibéralisme, c’est pas si fou. La seule façon de s’en sortir, c’est de mettre la main sur un gros magot. Je… Quoi ? Bref, je ne suis pas certaine de recommander ce roman, essentiellement parce que l’auteur n’aime pas ses personnages sauf un qu’il transforme limite en super-héros… ce qui le rend presque antipathique. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *