Des tours immenses, à perte de vue. Elles grimpent jusqu’au ciel, dépassant les nuages pour essayer de retrouver un peu de soleil. Telle est la promesse de Vertigéo, une BD écrite à six mains par Lloyd Chéry, Amaury Bündgen et Emmanuel Delporte, sortie au printemps. J’ai attendu qu’elle apparaisse dans ma bibliothèque, un peu comme Testoterror mais ne la voyant point venir, j’ai fini par l’acheter. Et j’ai bien fait par Vertigéo est une belle BD… mais pas que. Grimpons ensemble au cinquantième étage.
Poussée vers le ciel
L’histoire. Dans un passé lointain, un cataclysme nucléaire a ravagé la Terre. Les quelques survivants se sont réfugiés dans des ruines et ont commencé à construire des bâtiments, toujours plus hauts. Leur but : la poussée. A savoir la construction d’une session de 50 étages pour passer au-dessus de ces nuages noirs et retrouver le soleil. Dans cet univers gris, Ugo est chef de chantier. Ses hommes et lui s’épuisent pour atteindre le fameux 50e étage, la « halte 50 », où ils auront droit à de la bonne nourriture et aux femmes pour les remercier de leur travail acharné. Mais la tâche est rude : entre bourrasques infernales et rapaces géants, les morts se comptent chaque jour par dizaine. Image qui sert littéralement de couverture de la BD.
Une société entre mythe et punition
Le monde de Vertigéo est violent et autoritaire. Au fur et à mesure des pages, on découvre tout un système fait d’impératifs et de mythes. Les mythes sur les temps d’avant le cataclysme, racontés par une conteuse ayant atteint un âge canonique. Le dirigeant tient plus du gourou que d’une quelconque autorité politique et impose sa volonté, punissant avec cruauté ceux qui prétendraient sortir du rang. Les mauvais résultats d’Ugo vont d’ailleurs lui valoir un passage d’expiation particulièrement pénible.
Une société basée sur un mensonge ?
Dire qu’il y a peu d’espoir dans cet univers tient de l’euphémisme. Et pourtant. Alors qu’Ugo et ses hommes atteignent enfin la Halte 50, une femme surgit et confit une boussole altimétrique à Ugo, lui permettant de réaliser que Vertiges est construite sur un pur mensonge. Lequel ? Ah, ça, je n’en dirai rien parce que cet événement surgit aux 2/3 de la BD et que je trouve le plot twist final bien amené.
La survie, un quasi miracle
Les dystopies post-effondrement, notamment suite à des catastrophes écologistes, aiment nous présenter des sociétés sombres où la survie de l’Humanité passe au-delà de la survie de l’individu. On est à la limite de la religion sacrificielle dans Vertigéo. Les morts sont très nombreux, chaque jour semblant être l’occasion d’une catastrophe. Personne n’a envie de vivre dans cet univers. Les hommes sont de la chair à béton et les femmes sont destinées à être livrées aux ouvriers arrivés à la Halte 50 pour leur permettre de se reproduire. Finalement, à part les quelques dirigeants qui ont réussi à se trouver une bonne place, aucun rôle ne fait rêver dans cette société. On est dans le prototype de la société dystopique « à n’importe quel prix ». On s’obstine vers un but qui promet de sortir enfin de la misère. Le mythe du peuple errant en recherche de sa terre promise. Sauf qu’au lieu d’errer dans le désert, ils construisent d’immenses tours.
Une fable religieuse ?
La religion suppure à travers chaque case. J’ai parlé du peuple errant mais un autre mythe religieux est évident dans Vertigéo : la tour de Babel. Les hommes essaient de s’élever pour atteindre le ciel. Le système politique a tout d’une secte. Le grand chambellan est présenté comme le seul intermédiaire entre l’Empereur, situé dans un sommet dont on sait peu de choses et la terre, là où les ouvriers travaillent. Ici, l’Empereur, qu’on ne verra jamais, est une figure divine puisque sa volonté est absolue et indiscutable tandis que le grand chambellan est l’élu, le seul à pouvoir parler à l’Empereur et communiquer aux hommes. Un gourou, ni plus, ni moins. On retrouve également une porte fortement inspirée de la porte des enfers de Rodin. J’ai trouvé également que les soldats du Grand Chambellan avaient une apparence proche des conquistadors espagnols. Par ailleurs, certains habitants portent des masques similaires à ceux portés par les médecins de la peste. Pour souligner le fléau qui a rongé le monde ?
Un monde post-cataclysme nucléaire confiné
Evidemment, une Humanité enfermée dans une structure verticale suite à un cataclysme nucléaire, j’ai immédiatement pensé à Silo. A la différence notable que dans Silo, le monde d’avant est situé en haut et non en bas et que la société est organisée de telle façon qu’elle est censée assurer une survie potentiellement acceptable à ses habitants. Et autre différence majeure : dans Silo, la fertilité est fortement contrôlée puisqu’il ne faut pas excéder un certain nombre d’habitants alors que dans Vertigéo, les enfants sont faits pour accomplir le projet d’atteindre le ciel. Ugo nous raconte qu’il a été élevé pour devenir ouvrier, apprenant l’escalade très tôt pour pouvoir se déplacer sur les sommets. Les hommes tombant littéralement comme des mouches, il fallait s’assurer de pérenniser la main d’oeuvre.
Une ressemblance avec la course aux hauteurs de New-York
Vertigéo peut sembler très cynique à travers ma chronique et ça l’est. On est dans une course effrénée à la hauteur, rappelant la construction des buildings New-Yorkais des années 20 avec la course à l’échalote de qui sera le plus haut. Ici aussi, on a cette course à l’altitude, des poutres qui se croisent dans le ciel… mais ici, pas de déjeuner sur une poutrelle d’acier. Plutôt un plongeon vers la mort si tu es trop loin d’un pilier quand le vent se lève. Il y a cependant une solidarité assez forte entre les ouvriers, solidarité qui ne s’étend pas aux autres corps de métier, comme on le verra quand Ugo harcèle un ingénieur pour qu’il l’aide à sauver un de ses hommes et que l’ingénieur rechigne. Si la BD ne s’attarde pas dessus, on sent un système de caste très fort. Il n’y a pas de famille dans Vertigéo, il y a des frères d’armes.
Une révélation finale jetée sur quelques cases
Oui mais et la révolte, me direz-vous ? C’est là que je suis restée un peu sur ma fin. Quand Ugo reçoit la boussole des mains d’une mystérieuse femme, il s’interroge assez peu. C’est vraiment « mais quoi, on nous ment ? Je vais en avoir le coeur net ». C’est un peu la limite du format BD qui ne permet pas de prendre le temps de mettre en scène les doutes du héros car s’ensuit une course effrénée à la vérité. La révélation finale arrive littéralement 10 pages avant la fin de la BD qui en fait 134. Explications sur la vérité, merci, bisous. Quoi ? Comment ? Et c’est là que je suis frustrée. J’aurais voulu qu’on m’en raconte plus. Sur la fille à la boussole, sur la fuite vers la vérité, sur cette Vérité. Littéralement, je lis une planche, je me dis « ah, c’est intéressant, puis-je en savoir plus », je tourne la page et c’est fini. Pareil, il y a une petite fille qui traîne dans les hauts étages, on ne saura rien d’elle. Je ?
Lire la nouvelle pour espérer combler les trous
Vertigéo est une nouvelle d’Emmanuel Delporte publiée originalement dans le recueil « Au bal des actifs Demain le travail » publié par La Volte et que je dois absolument me procurer. Dans ses influences, Delporte cite Le transperceneige pour l’idée d’un mouvement perpétuel, La horde du contrevent pour l’idée d’un effort collectif. J’aurais dit entêtement collectif, moi… Vertigéo m’a également évoqué Niourk pour cet idée d’une civilisation qui se relève dans les décombres de vieux buildings et de l’épisode de la conteuse autour du feu. Vertigéo, la BD, m’a donné envie de lire Vertigéo, la nouvelle, pour, peut-être, combler les trous. Sinon, peut-être m’y attellerai-je un jour. Déjà pour me pencher sur l’histoire de la fille à la boussole car ce que j’aime particulièrement dans les dystopies, c’est la question de l’entrée en résistance.
1 thought on “Vertigéo, la dystopie dans les nuages”