Je ne fais pas que lire des dystopies. J’en imagine, aussi. Beaucoup. Ce qui m’intéresse dans mes exercices de conception, c’est de changer quelques paramètres de notre société pour voir ce que ça donnerait. Un exercice commun à pas mal d’auteurices du genre. Au point que parfois, je lis une dystopie et je ne suis pas sûre de comprendre ce qu’on a voulu me raconter. J’ai plus la sensation qu’on a voulu me décrire ce monde avec deux ou trois péripéties au milieu. Histoire de justifier l’écriture d’une double ou triple centaines de pages. Le cas précis de Camp Zero de Michelle Min Sterling.

Le réchauffement climatique qui rebat les cartes
L’histoire. 2049, la Terre est ravagée par le réchauffement climatique. Rose, prostituée de luxe, débarque à Dominion Lake, un bled perdu tout au nord du Canada. Cinq autres filles et elle sont embauchées en tant que “fleurs” pour contenter le maître des lieux et ses amis sur le chantier d’une future université. Mais Rose n’est pas là par hasard. Elle a été envoyée par Damien, un mystérieux ponte de la Cité flottante, une ville construite sur l’océan, à l’abri des tempêtes. Sa mission ? Comprendre les réels plans de Meyer.

Une communauté dans le froid
En parallèle, on va découvrir un camp perdu dans le Grand Nord. Un groupe de scientifiques femme vont y débarquer pour étudier les possibilités de vie sur place. Petit à petit, la petite communauté va se souder et devenir une mini-civilisation à part entière.

Le monde que nous connaissons n’existe plus
Camp Zero imagine donc un monde où le réchauffement climatique est en train de gagner la partie. L’Humanité est menacée et les populations commencent à migrer doucement vers le Nord. Les Etats semblent plus ou moins avoir abandonné la partie. Seules quelques cités tenues par des milliardaires, comme La cité flottante ou le futur campus de Dominion Lake, semblent encore tenir debout. On apprend également que l’extraction de pétrole, qui donnait du travail aux habitants de Dominion Lake est désormais interdite. La crise climatique et donc doublée d’une crise énergétique.

Des milliardaires charismatiques
Autres ingrédients classiques des dystopies de ce début du XXIe siècle : les technologies et les Elon Musk like qui tirent partie de la crise. Oui, tout le monde semble avoir oublié Steve Jobs qui servait d’inspiration dans The Circle. Ici, concernant la technologie, on a le Scope, une sorte de smartphone intégré directement dans le cerveau . Il s’affiche devant les yeux dès que la personne regarde sur la droite. On va découvrir son concepteur durant le roman, un mégalo intégral qui s’aime beaucoup. Une caricature assumée de Musk. L’autre milliardaire de l’histoire, Meyer, est donc un architecte de génie qui se rêve philanthrope en imaginant des sociétés qui permettraient de sauver l’Humanité. Un pseudo philanthrope dépressif. Enfin, on a la famille de Grant. Grant est un professeur embauché pour le campus de Dominion Lake et il est le fils d’une famille de riche. Des milliardaires un peu à l’ancienne car même si le monde se délite, les entre-soi bourgeois persistent.

Des communautés déconnectées
Camp Zero nous propose également une communauté hors de toute civilisation. Un village d’Amazones dans la neige qui apprend l’auto-suffisance et cherche des moyens d’assurer sa survie dans le temps. L’existence de Blanche Alice nous permet de réaliser à quel point chaque société que l’on aperçoit dans le roman est détachée du reste du monde. Alors que le Scope permet de rester connecté en permanence au monde, les personnages en sont plutôt déconnectés. Si, dans le camp où habitent les Fleurs, on nous explique pourquoi, pour les autres… Dominion Lake est aussi assez déconnecté du monde. Mais on découvre à travers différents flashbacks que nos personnages ne sont pas très fans de cette technologie. Pour finir sur Blanche Alice, plusieurs commentaires se plaignaient un peu du côté misandre de cette communauté qui ne veut pas d’hommes car elles s’en méfient. Si j’admets que ça manque un peu de subtilité, je l’ai plus ressenti comme une communauté de survivantes que comme une communauté misandre.

Un livre féministe alors que l’héroïne est juste… belle ?
Le vrai problème de Camp Zero, ce n’est pas sa misandrie, franchement peu marquée. Le roman se veut féministe, je ne suis pas non plus d’accord avec ça. Déjà parce que l’héroïne principale est surtout vue par le prisme de sa beauté. C’est même son meilleur atout pour s’en sortir. Alors qu’on a de longs passages sur le fait que, plus jeune, elle lisait des tas de livres plutôt que de traîner sur le scope. On pourrait penser que c’est pour illustrer le fait que le monde est devenu bien dur et que, pour s’en sortir, il faut utiliser des moyens radicaux. Sauf que le traitement de Rose, alors même qu’elle est la narratrice principale, tourne toujours autour de sa beauté. Y compris avec le Barbier, son love interest qui s’intéresse à elle parce que… elle est belle.

Les prénoms, c’est surfait
A propos du Barbier, parlons du vrai problème de ce roman : l’absence de prénom. Rose ne s’appelle pas Rose et on apprend son vrai prénom que vers la fin du roman. Le barbier n’en a pas non plus, c’est juste “Le barbier”. Les fleurs ont des surnoms. Mais le pire, c’est Blanche Alice où chaque femme est définie par sa fonction, sauf “Sal”, la responsable de la sécurité. Du coup, on ne comprend pas qui raconte l’histoire de Blanche Alice, une sorte de conglomérat de toutes ? Une dont la fonction n’est jamais listée mais que j’aurais dû deviner toute seule vu le roman ne répond pas à la question ? Comprenez : à un moment, y a une scène où la narratrice, qui parle toujours à la première personne du pluriel, décrit l’occupation de chaque occupante de la base. Ok mais toi, tu es qui, bon sang ? Tu fais quoi ? Tu es le fantôme de la station ? Du coup, comment s’attacher à des personnages qui n’ont même pas de prénom ? A peine un background ? J’ai eu plus d’infos sur les Fleurs alors qu’à part Rose et Saule, elles ne servent à rien…

J’ai un univers mais je sais pas quoi en faire
Et je ne vous parle pas de la fin. Ca donne vraiment la sensation de “ah oups, il me reste 10 pages pour tout boucler”. Et une immense sensation de “ok mais du coup, c’était quoi l’histoire ?”. Oui, il y a une histoire en soi mais le fait d’avoir la moitié du roman qui parle d’un sujet qui, in fine, n’aboutit à rien, je… J’ai vraiment fermé Camp Zero en me disant que je n’en ferais pas un article car il n’y avait pas tant à dire. Une vague analyse d’ingrédients déjà vus ailleurs. Sauf qu’à la réflexion, Camp Zero est symptomatique d’un type de dystopie. La dystopie “j’avais juste envie de décrire un monde en mettant en scène mes préoccupations mais je n’avais rien de plus à dire”.

Mettre de la chair sur un squelette
Alors on brode. On met un personnage qui n’intéresse pas grand monde qui va juste servir à raconter une catastrophe naturelle à laquelle il a échappé grâce à son père. Et hop, une gue-guerre entre milliardaires qui ne sert pas à grand chose. On ne voit quasi pas la Cité Flottante alors que ça, c’était une bonne idée. On comprend les intentions de Blanche Alice mais la fin est tellement ouverte que j’ai la sensation qu’il manque une centaine de pages. Un immense “tout ça pour ça”. Et j’ai l’impression qu’on va être de plus en plus condamnés à tomber sur ce genre de fictions. Parce que la dystopie est un genre qui fonctionne pas mal en terme de ventes alors tant pis, on en publie des kilotonnes. Commencer un 4e de couverture par un “En 2049, le réchauffement climatique…”, ça fait vendre.
Déjà lu mille fois
Alors est-ce que je déconseille Camp Zero ? Disons que c’est une dystopie totalement dispensable qui passe totalement à côté de son sujet, à savoir cette communauté de femmes qui se crée à part de la société. Le roman en parle sans en parler et laisse beaucoup plus de questions que de réponses. Essentiellement parce que si on y réfléchit de trop près, ça ne pouvait pas marcher ? Je comprends qu’on ait envie de présenter les idées d’univers que l’on peut avoir, une énième variation du monde dans 25 ans, ravagé par le réchauffement climatique. Faudrait juste penser à écrire une vraie histoire, avec des personnages qui ont, a minima, des prénoms.