THX 1138, la dystopie chauve

Parmi les classiques du cinéma dystopique : THX 1138 de George Lucas. Un film expérimental qui dépeint une société totalitaire effroyable.

De temps en temps, je consulte des listes de dystopies afin de voir quelles sont celles dont je n’ai pas parlé. Ou que je ne connais pas encore. Dans ces listes se trouve un film que je voulais voir depuis longtemps : THX 1138. Une dystopie signée George Lucas et dont j’ai entendu pas mal de bien, ça m’intrigue. L’ayant trouvé sur une plateforme VOD, je lance donc et… autant vous dire que je n’étais pas prête. Une étrange société totalitaire visuellement barrée qui va sans doute me marquer longtemps.

THX 1138, une usine du futur

L’histoire. Quelque part pendant le XXVe siècle, l’Humanité vit sous cloche. Une Humanité hagarde, au crâne rasé, visiblement dépourvue de sentiments. Chacun vaque à ses occupations. THX 1138 est un mécanicien qui travaille sur une chaîne de production de robots policiers. Depuis quelques temps, il se sent un peu bizarre et commet même une erreur pendant son travail. Troublé, il va se confier dans une sorte de confessionnal du futur tapissé d’un immense visage de Jésus. Un robot lui répète des maximes un peu creuses qui valorisent le pouvoir collectiviste en place. Il vit avec LUH 3417, une compagne avec qui il ne se sent aucune affinité. Pourtant, petit à petit, il va découvrir qu’il nourrit des sentiments pour elle. Car, en cachette, elle a changé le traitement de ce dernier pour lui permettre de ressentir quelque chose.

THX 1138 et LUH 3417

THX 1138 et LUH 3417, désormais débarrassés de leur camisole chimique, vont donc s’aimer. Sauf que les rapports sexuels classiques sont prohibés et THX1138 va bientôt être arrêté. Une fois emprisonné, il va découvrir toutes les affres de la répression réservée à ceux sortis du chemin.

thx 1138 est arrêté

Bon, je vais évacuer directement le point qui m’a sauté aux yeux durant le visionnage : c’est la version totalitaire de Un bonheur insoutenable. Le roman est sorti l’année précédente donc il est difficile d’imaginer que Lucas ait eu le temps de le lire et de produire le film puisque THX 1138 est sorti en 71. Et THX 1138 est la version longue d’un court réalisé par Lucas alors qu’il était étudiant et qui lui a valu un prix. Je n’ai pas trouvé de lien officiel entre les deux oeuvres. Mais des personnages dont les noms sont des matricules, prenant des drogues annihilant les émotions, dont la sexualité est fortement contrôlée… D’ailleurs, que ce soit dans Un bonheur insoutenable ou dans THX 1138, le premier acte subversif est un rapport sexuel en dehors des conventions. Si Dans un bonheur insoutenable, les relations sexuelles sont acceptées et codifiées, dans THX 1138, seule la masturbation est légale. Il y a même un programme télé et une machine dédiée à ça.

THX 1138 et LUH 3417 s'embrassent

On a assez peu d’éléments concernant la société dans laquelle évoluent THX 1138 et LUH 3417. On sait que l’Humanité, du moins cette société-ci, vit sous terre. Un classique de pas mal de dystopies : Silo, Fallout, Metro 2033 mais aussi Logan’s run dans les années 70. Pourquoi l’Humanité vit sous terre : on ne sait pas et on ne l’apprendra pas même si le film se termine sur THX 1138 quittant l’abri et surgissant dans un monde qui semble brûlé par un soleil rouge. 

Le monde souterrain de TH 1138

Bref, ce qu’il reste d’Humanité est fermement contrôlé par un pouvoir qu’on ne verra jamais. Il s’exprime via deux corps désincarnés : les robots policiers et les fameux confessionnaux qui renvoient la doctrine officielle au visage d’un THX 1138 déboussolé. Cette société dispose de nombreux poncifs. Les personnages se saluent d’un “Sois heureux”. Qui peut sonner bizarrement quand il conclut une conversation après un échange houleux. Comme avec SEN 5421, un rival de THX 1138. Quand THX 1138 est confus, le Jésus robotique lui répond pas “Bénédiction de l’Etat, bénédiction des masses”, pouvant laisser deviner un pouvoir plutôt communiste.

Thx 1138 se confie à Jésus

Sauf que, dans la première partie du film qui nous présente un peu cette société, on a quelques bribes du fonctionnement de la société et on est plutôt dans une structure très libérale. Les ouvriers sont payés en “crédit”. Ils peuvent acheter chaque jour un objet relativement inutile, “le produit”, dont le prix varie. Cette société est également dotée d’un système judiciaire que l’on apercevra à l’occasion du procès de THX 1138 où la peine de mort avait été requise. Cette société fonctionne également sur un système de surveillance et de délation. Avant son arrestation, THX 1138 utilise une sorte de boîte aux lettres proposant papier et stylo qui lui permet de dénoncer les agissements de SEN 5241. Outre la délation, l’Etat dispose de tout un système de surveillance. Outre le confessionnal qui demande régulièrement aux confessés d’expliciter leur pensée pour surveiller tout risque de subversion. De la même façon, tous les logements sont surveillés. Le film nous propose en ouverture une succession de petites scènes où l’on voit différents opérateurs surveiller les citoyens. L’un d’entre eux reçoit une alerte, par exemple, que des rapports sexuels prohibés en cours. De la même façon, dès que le placard à pharmacie est ouvert dans un logement, celui qui ouvre est filmé et surveillé.

L'armoire à pharmacie du futur

Mais le contrôle de l’Etat va plus loin. Sans que l’on sache vraiment comment, on peut “bloquer” le cerveau d’une personne. C’est ainsi que THX 1138 est arrêté : son cerveau est bloqué pendant qu’il est sur sa chaine d’approvisionnement. Une scène qui met en lumière le côté très froid et mécanique de l’Etat qui, en bloquant THX 1138 en pleine manipulation, manque de provoquer un grave accident qui pourrait tuer le suspect, suspect qui échappera à la peine de mort quelques scènes plus tard, mais également ses collègues. D’ailleurs, en début de film, on assiste à une catastrophe avec une explosion radioactive dans une usine. Si, en première intention, cette scène semble illustrer la totale indifférence des Humains face à ce drame, elle prend une nouvelle dimension à la lumière de l’arrrestation de THX 1138. On a souvent l’impression d’un pouvoir aveugle et robotique, à l’image des policiers-robots. A se demander s’il y a encore un pilote dans l’avion.

LUH 3417 s'en fout

Après l’arrestation de THX 1138, on va découvrir la prison. Un lieu blanc et qui semble infini où les prisonniers sont parfois seuls, parfois en groupe. Quelques bancs sont disséminés pour permettre aux groupes de prisonniers de s’asseoir. Ce lieu semble pensé pour rendre les prisonniers fous. Les séances de torture sont aléatoires, les policiers venant parfois donner des coups de matraque électrique à un prisonnier calme. D’ailleurs, après une séance de torture, on découvre THX 1138 ramassé sur lui-même, se balançant d’avant en arrière. On lui amène LUH 3417 également pour une courte entrevue où elle lui apprend qu’elle est enceinte de lui. On comprend également que les prisonniers peuvent faire un peu ce qu’ils vuelent. Pendant une scène, on en voit certains discuter d’une rébellion tandis qu’un prisonnier tente de violer la seule femme présente avant d’aller frapper un policier-robot de façon gratuite, nous indiquant que ces prisonniers ne sont sans doute plus sous drogue “apaisante”. Malgré tout, personne ne tente de trouver une sortie à part THX 1138 et SEN 5241. 

thx 1138 est battu par la police

THX 1138 est une oeuvre assez étrange. D’une durée de 88 minutes pour la director’s cut, celle que j’ai vue, elle essaie d’exposer un maximum son univers tout en laissant une grande partie dans l’ombre. Tout en proposant régulièrement des scènes assez barrées, parfois poétiques, parfois malaisantes. Beaucoup de scènes de la prison, par exemple, avec des personnages perdues dans un désert blanc qui semble sans fin et tout à coup, la sortie était juste derrière eux ! On dirait une métaphore d’une psyché modelée par un système qui, tout à coup, essaie d’en sortir. En terme de scène étrange, je vais citer également la scène de contact entre THX 1138 et LUH 3417, filmée en très gros plan sur leur visage qui se frôlent, les mains caressent leur peau. J’ai trouvé cette scène très poétique et très organique dans cet univers blanc et aseptisé. 

TH1138 et LUH3417 se touchent

Regarder THX 1138 offre une expérience particulière. Je ne connais pas tout le cinéma de Lucas. Je n’ai pas vu American Graffiti, par exemple. Mais il était pour moi un réalisateur plutôt littéral. Regarder les premiers Star Wars, que j’aime beaucoup au demeurant, ça ne prend pas la tête en terme de métaphores et de symbolisme. C’est agréable, bien rythmé. THX 1138 propose quelque chose de radicalement différent. Outre les velléités artistiques visibles de l’auteur, il y a un inconfort persistant durant tout le visionnage. Les premières scènes sont pénibles, littéralement : on entend des messages d’avertissement, des ordres en permanence. Pour une misophone comme moi, ce fut une épreuve. Mais cet inconfort me paraît totalement voulu puisqu’on comprend vite que cette Humanité que l’on voit évoluer est totalement amorphe. Elle regarde des vidéos d’Humains se faire tabasser par un robot policier sans broncher, se fait mastuber mécaniquement en regardant une femme noire danser. Point fétichisation exotique, certes, mais à noter que les quelques personnages noirs présents semblent tous être des hologrammes. Le film ne dit rien de ça, je n’ai pas vu d’analyse de cette dimension sur ce film mais je pose ça là. On ne sait pas qui sont ces gens qui ont survécu à on ne sait quoi mais ce sont essentiellement (uniquement) des Blancs. 

L'assemblée judiciaire du futur

Bref, j’ai bien aimé THX 1138 pour ses propositions artistiques. Un peu comme un Zardoz ou un Logan’s Run. Je crois que ma nostalgie pour des projets artistiques débridés m’influence. A l’heure des blockbusters ultra stéréotypés où le réalisateur a de moins en moins le dernier mot, voir de véritables films d’auteur, au sens le plus littéral du terme, me rend sans doute indulgente. Mais la bizarrerie de THX 1138 m’a touchée et ce n’est pas un film que j’oublierai de si tôt. 

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