Le Reich de la Lune, une uchronie pas si barrée que ça 

A la fin de la seconde guerre mondiale, des nazis fuient pour installer le Reich de la Lune sur l’astre nocturne. Un roman très sarcastique.

Plus jeune, j’avais un certain goût pour les théories du complot. Non que j’y croyais mais j’y trouvais un potentiel fictionnel incroyable. Imaginez tous les romans, les films que l’on pourrait écrire. Genre sur un réalisateur qui réalise des vidéos qui simulent le débarquement des Américains sur la Lune. Bien écrit, on aurait un thriller politique incroyable. J’ai beaucoup regardé X-files ado, d’où cet appétit. Parmi les théories du complot concernant la Lune, il y a celle prétendant qu’une base nazie se niche sur la face cachée de la Lune. Une théorie qu’a repris Johanna Sinisalo au premier degré pour nous offrir une uchronie étonnamment efficace. C’est également une sorte de spin-off du film Iron sky, histoire dont Sinisalo est reconnue comme créatrice.

Le reich de la Lune, les nazis de l'espace

L’histoire. Renate Richter est née sur la Lune. Descendante d’une poignée de nazis qui a fui sur la Lune à la fin de la Seconde guerre mondiale, elle grandit avec la conviction que le nazisme est le meilleur régime politique possible. Elle voue un culte sans bornes à Hitler, élevé au rang de Dieu depuis sa mort. La vie s’écoule paisiblement dans la base secrète, appelée Schwarze Sonne. Sauf qu’en 2018, une capsule spatiale contenant trois Américains atterrit et découvre la base. Deux des spationautes sont éliminés tandis que le troisième est capturé. Sauf que, stupeur et tremblements, sous sa combinaison, l’homme est noir. Un choc total pour Renate.

Le grand déplacement

Les premiers chapitres sont dédiés à l’enfance de Renate, petite fille espiègle passionnée par la Terre. Elle tombe en amour avec la planète bleue suite à la lecture d’Heidi. Oui, la petite fille de la montagne. Elle y découvre des concepts étranges comme le vent ou le lait. Cette passion va la conduire notamment à apprendre l’anglais, langue majoritaire sur la Terre. Un vecteur indispensable pour diffuser la parole du Führer quand il sera temps d’aller envahir la planète. C’est cette passion sans borne qui va la conduire à rendre visite au prisonnier en cachette afin d’en savoir plus sur la Terre.

Heidi dans les Alpes

Suite à plusieurs péripéties, Renate se retrouve sur terre, à New York. Là, on part sur la partie “Rendez-vous en terre inconnue.” N’ayant connu que sa petite base nazie, Renate se prend de plein fouet les délires consuméristes de la grande Amérique. Sinisalo utilise le trope du personnage plongé dans notre société actuelle sans en connaître les rouages pour en souligner toute l’absurdité. Sans pour autant faire l’apologie du nazisme. Renate va vite découvrir qu’elle a été élevée dans le mensonge. Le nazisme a été balayé, Hitler n’a jamais été vu comme un leader éclairé. Et le film Le dictateur de Chaplin n’est pas un film de 5 mn à la gloire du Führer. 

Le roman prend la forme d’un journal intime adressé à une amie imaginaire, “Kitty”. Oui, exactement comme dans le Journal d’Anne Frank. Ce journal étant écrit en fin de vie par Renate, ce choix peut indiquer qu’elle rend un discret hommage à Anne Frank, victime du nazisme dont elle a appris les méfaits. Ce point n’est cependant pas abordé. Car Le Reich de la Lune garde une dimension plus comique que tragique malgré la volonté d’aborder des thématiques assez graves. A aucun moment Renate ne commente les camps de concentration, par exemple.

Anne Frank et Kitty

Là où l’écriture de Sinisalo est subtile, c’est qu’elle profite du récit de Renate pour nous expliquer sans trop s’appesantir comment Schwarze Sonne a été conçue. Et surtout comment la vie y est possible. Notamment via la culture du chanvre et la récupération de l’azote généré par les excréments. Ce pragmatisme écologique n’est pas sans rappeler Ecotopia. Johanna Sinisalo a réfléchi à de très nombreux aspects pratiques et techniques pour nous faire admettre l’existence de cette base. Mais aussi le développement technologique des nazis hors de la technologie terrienne. Ainsi, quand à la fin des années 90, début 2000, ils n’arrivent plus à capter les ondes radio hertziennes et imaginent que les Terriens ont imaginé un nouveau système de cryptage qu’ils doivent déverrouiller à tout prix. Alors que, Renate l’explique elle-même, les ondes radio sont juste passées en numérique.

Des ondes dans l'espace

Un point de détail ? Certes mais qui tisse un tableau d’ensemble qui va expliquer l’escalade jusqu’au climax du roman : Schwarze Sonne se considère en guerre. Toute leur technologie est développée en vue de l’invasion terrestre avec la construction d’une fusée destructrice, le Götterdämmerung. Littéralement le Crépuscule des Dieux. Ce qui explique l’assassinat de deux des trois spationautes ainsi que la capture du rescapé pour connaître les plans de la Terre à leur égard. Alors que James, l’afro-Americain, va être “aryanisé” par le Dr Richter, le père de Renate aux très fortes ambitions, Renate va devoir percer le secret d’un étrange objet lumineux avec plein de carrés colorés qui réagissent quand on tape dessus. Objet qui contient notamment plein de photos. Le Reich étant peu tourné vers le divertissement, à part le cinéma, elle a du mal à comprendre l’intérêt de cet appareil. Elle n’y voit qu’une puissance de calcul incroyable pour terminer le Götterdämmerung.

Vaisseau guerrier

Cet appareil quasi magique va devenir, à la moitié du roman, un MacGuffin qui va entraîner Renate et son fiancé Klaus sur Terre pour aller demander la collaboration de la Présidente des États-Unis afin de récupérer de la puissance de calcul. Dans leur quête, ils vont rencontrer Vivian Wagner, responsable de la communication de la Présidente. Cette dernière, prenant Renate et Klaus pour des originaux du Minnesota, va lancer une marque de vêtements et accessoires directement inspirés du look nazi de notre couple de la Lune. On n’est pas loin ici du pitch de “Il est de retour”, racontant la résurrection d’Hitler de nos jours et comment son « irrévérence » en fait une star des médias. Le Reich de la Lune ne pousse certes pas le délire aussi loin. Ici, le but est de marquer l’énorme écart entre le sérieux rigide de Renate et Klaus, agissant pour la seule cause qu’ils connaissent et pour laquelle ils sont nés, et l’apparente frivolité de Vivian et de la Présidente. Cette dernière, dans son style très brut de décoffrage et relativement inconséquent n’est pas sans faire penser à Don’t look up.

La présidente américaine dans Veep

La vraisemblance est rendue dans tous ces détails. L’histoire est racontée par Renate mais le lecteur averti voit plus loin qu’elle. Les jardins du Valhalla, par exemple. Vus par Renate comme une maison de repos pour remercier les habitants de la base qui vont y finir leurs jours. Le lecteur, lui, n’a aucun doute quant au sort funeste des personnes qui y atterrissent. L’aspect sectaire du nazisme est également très bien rendu dans les rites de la base, dans sa réécriture de l’histoire mais aussi la croyance de Renate que le nazisme est ce qui pourrait arriver de mieux à l’Humanité. 

Des nazis primesautiers

Bref encore une uchronie lunaire mais dans un esprit très différent de For all mankind. Le Reich de la Lune est une comédie féroce rehaussée de quelques moments dramatiques. Elle souligne avec une étrange acuité les travers de notre société vu par une personne élevée dans les légendes et qui doit penser au but suprême avant d’oser penser à elle. Sous le vernis d’un humour assez absurde, Johanna Sinisalo a fait de l’une des théories du complot les plus ridicules un portrait de notre temps. Ou a peu près puisque dans son univers, en 2018, les États-Unis ont une armée spatiale. Sinisalo a écrit une autre fausse utopie, “Avec joie et docilité” que je vais m’empresser de lire. Et évidemment, je vais regarder Iron sky pour vous chroniquer ça au plus vite !

1 thought on “Le Reich de la Lune, une uchronie pas si barrée que ça 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *