Parfois, les GAFAM inspirent les auteurices de dystopies. Que ce soit pour l’aspect quasi messianique d’un leader charismatique ou par l’aspect campus, ces lieux étranges qui te permettent de vivre et travailler au même endroit. Du coup, après M, le bord de l’abîme qui avait déjà des airs d’un Amazon infernal ou Le cercle, hybride entre Google et Apple, voici MotherCloud, mi-Google, mi-Amazon. Totalement “après le consumérisme, le déluge”.
Viens vivre dans ton entreprise
L’histoire. C’est jour de recrutement chez MotherCloud, de nombreux candidats se pressent à un centre d’examen en espérant être pris. Et c’est le cas pour Paxton, ex entrepreneur qui en a gros après Mothercloud qu’il considère responsable de sa faillite. Dans le bus qui l’amène à l’un des centres où il va vivre, il rencontre Zinnia, qu’il entreprend de draguer. Mais elle, elle n’est pas là pou flirter. Envoyée en mission par un mystérieux commanditaire, elle doit parvenir à voler les données de Mothercloud. Nos deux protagonistes profitent du voyage pour regarder une vidéo de présentation réalisée par le big boss, Gibson Wells. Un multimillionnaire en phase terminale d’un cancer.
Une dystopie aux ingrédients classiques
Le roman va utiliser la palette classique de la dystopie : une société en déliquescence, une organisation sociétale avec ses règles simples et claires, un mouvement de résistance, un autocrate charismatique. Ah, ceci, ajoutez un peu de suspense, une dimension un peu polar avec la mission de Zinnia mais ce n’est pas ce qui m’intéresse ici. Ce qui m’intéresse, c’est la très légère anticipation qui nous est proposée.
Une paupérisation catastrophique
Point un : la paupérisation galopante qui semble toucher les Etats-Unis. On la découvre d’abord à travers le personnage de Paxton : ancien gardien de prison, il a voulu changer de voie en créant un produit, un cuiseur à oeuf, mais a échoué. Selon son analyse de marché, c’est à cause de Mothercloud qui préempte tout le marché. Paxton déboule là en espérant croiser Gibson Wells et lui dire ses quatre vérités. Mais petit à petit, il trouve son compte dans cette nouvelle société et a de plus en plus de mal à ne pas se conformer aux règles du jeu. Cette vie relativement confortable contre emploi me fait forcément penser à C’est le coeur qui lâche en dernier de Margareth Atwood.
Une vie relativement confortable
Ensuite, nous avons le cynisme de Zinnia, occupée à essayer de remplir sa mission. Assez désabusée de la vie à Mothercloud, elle y trouve néanmoins son compte aussi même si elle se retrouve opposée à un des managers qui abuse de son autorité. Un classique des dystopies dictatoriales où on a souvent un général, un lieutenant ou un mec vaguement gradé qui impose des faveurs à de pauvres gens. Alors qu’elle sait pertinemment qu’elle fuira à la première occasion, elle se laisse gagner par quelques avantages que procure la vie à Mothercloud. Notamment une salle d’arcade. Avec ce côté “je ne suis pas dupe, mais…”
Un autocrate aux atours sympathiques
Si le roman suit ces deux personnages, on a droit à quelques chapitres constitués de prises de parole de Gibson, en plein déclin physique. Un personnage assez intéressant sur le papier. Ultra libéral forcené qui fait de sa vie une véritable histoire, il raconte le rêve qui a fait naître Mothercloud, il parle régulièrement de sa femme, de sa fille. Le personnage est pas trop mal écrit, on croit presque à une certaine probité. A condition de taire certains passages affreusement LinkedInesque à base de “qui veut peut”, “je me suis fait tout seul”. Mais petit à petit, on va bien sentir le côté despotique jusqu’à son apparition au Mothercloud où là, le côté mec sympa, bon…
Name dropper les classiques du genre
On a aussi un mouvement de résistance qui apparaît un peu plus tard dans le roman. Des résistants de “on n’a plus rien, les centre-villes ont été désertés, tous les commerces de proximité sont morts”. Des fois qu’on n’ait pas capté avec Paxton. Il y a aussi une histoire de drogue, pas essentielle au récit, là également pour évoquer une justice à double vitesse et offrir un échappatoire aux travailleurs de Mothercloud, pris dans une routine épuisante. Routine plutôt bien mise en avant par l’écriture pour le coup.
Un univers assez bien équilibré
Alors Mothercloud, on en pense quoi. L’histoire en elle-même n’a rien d’incroyablement original et le personnage de Zinnia manque de subtilité à mon goût. A un moment, l’auteur cite Fahrenheit 451 et 1984 pour tisser une histoire comme quoi Mothercloud limite la distribution de ces livres pour endormir le citoyen. Pourquoi pas. Mais du coup, il y a un côté prétentieux à s’inscrire dans cette lignée. Même s’il y a une résolution intéressante sur le sujet. Mothercloud a un équilibre subtil, je trouve, sur son aspect dystopique. Plutôt critique anticapitaliste, avec quelques rebondissements qui ne feraient pas tâche dans d’autres dystopies que je ne peux citer sans spoiler un truc. Rob Hart connaît son sujet et propose des personnes qui ne sont ni tout à fait pour, ni tout à fait contre et surtout une figure autoritaire qui n’est pas stupidement méchante ou dictatoriale.
Une toile de fond bien explorée
Bref, Mothercloud laisse un goût un peu mitigé car certains éléments, notamment la toile de fond, sont plutôt bien travaillés mais le côté polar, moyen… Ca donne un peu l’impression que Rob Hart avait envie de raconter l’histoire de la société Mothercloud et a brodé deux ou trois histoires vite fait par dessus pour amener son lectorat dans les méandres de cet Amazon like. Mais ce n’est pas désagréable à lire, un bon bouquin à prendre en vacances, par exemple. Ca ne révolutionnera pas votre vie mais ça vous fera passer un bon moment. Toujours ça de pris.