Les dystopies sont souvent l’occasion de grossir le trait de nos sociétés pour en dénoncer les éventuels périls. Mais imaginons maintenant que l’on écrive une histoire purement métaphorique, où le contexte importe peu pour se concentrer sur la parabole. C’est le défi relevé par La plateforme, film espagnol diffusé sur Netflix. Je vous préviens, ce métrage intrigue fortement.
Une tour-prison minimaliste
L’histoire. Goreng se réveille dans une cellule en béton avec un énorme trou en plein milieu. De l’autre côté du trou, un co-détenu. Alors que Goreng essaie de comprendre ce qu’il se passe, une énorme dalle en béton débarque par le trou. Elle est recouverte de vaisselle et de restes de repas que le co-détenu, Trimagasi, s’empresse d’avaler avant que la plateforme ne descende plus bas. On va découvrir rapidement le fonctionnement de cette tour : tous les jours, la dalle est garnie de plats copieux et raffinés et descend après étage. Plus tu es bas, moins tu auras à manger. Oui, ce film est parti de la théorie du ruissellement pour expliquer pendant 94 minutes que ça ne marchera jamais.
Un lieu cruel et implacable
Le film ne s’embarrasse pas avec les explications. On sait que Goreng a accepté de venir pour 6 mois pour obtenir un certificat tandis que Trimagasi est là car il a tué. Chacun peut amener un objet, Goreng prend un livre, Don Quichotte, tandis que son co-détenu a pris… un couteau. Chaque mois, les habitants se réveillent à un nouvel étage. Plus tu es bas, moins tu as de chances de survivre vu que la nourriture n’arrive pas jusqu’en bas. D’ailleurs, quand Goreng et Trimagasi se réveillent au 171e, plusieurs corps passent à travers le trou, plusieurs habitants préférant se suicider vu qu’ils ne sont pas certains d’atteindre la fin du mois.
Tentatives avortées de changer le système
D’abord révolté, Goreng va finir par accepter le système, regardant sa nouvelle codétenue, Imoguiri, avec un peu de dédain quand celle-ci essaie de proposer à ceux du dessous de s’organiser pour partager les ressources. Inlassablement, après avoir mangé sa part, elle prépare une assiette à ceux du dessous, les exhortant à ne manger que ça et préparer une assiette à leur tour, etc. Elle se fera systématiquement insulter. On nous montre plus ou moins subtilement que chaque étage s’accroche à son privilège et refuse l’effort, arguant qu’ils en ont chié quand ils séjournaient dans les étages inférieurs. Il y a aussi Miharu, jeune femme que l’on voie passer sur la plateforme chaque mois, à la recherche de son enfant censément enfermé quelque part dans la tour. Finalement, Goreng tentera lui aussi la descente pour tenter de renverser le système.
Lutte des classes et final christique ?
Alors, très clairement, si vous aimez que les films vous expliquent tout, vous pouvez renoncer dès à présent à regarder la Plateforme. On ne saura pas qui est derrière cette Tour, qui y est pour quoi, même pas à quoi va servir le certificat de Goreng. Et je ne parle pas de la fin, totalement ouverte et libre à interprétation. Je pourrais presque dire qu’il existe autant d’interprétations possibles de ce film que de spectateurs. Pour moi, outre la lutte des classes assez évidentes où ceux d’en haut se gavent au profil de ceux d’en bas qui crèvent littéralement la gueule ouverte, il y a quelque chose de presque christique dans ce film. Alors que Goreng est une sorte de Don Quichotte se battant des moulins à vent, Miharu me paraît un ersatz de Vierge Marie, mère dés-enfantée et extrêmement sanguinaire.
Le lieu en personnage principal
La plateforme n’est pas sans me rappeler les dystopies de confinement avec son organisation de la société extrêmement rigide. Je pense plus spécifiquement à Snowpiercer où la queue de train est condamnée à la survie alors que la tête vit dans l’opulence. Ici, deux scènes nous présentent les cuisines et l’exigence délirante du chef cuistot. L’esthétique est très bétonnée, rappelant Trepalium ou Bunker Palace Hotel. Le béton, matériel de nos futurs sombres ? Il y a aussi pas mal de Cube dans cette fiction. Un décor minimaliste répété à l’infini, une fiction claustrophobique aux justifications légères, voire inexistantes. Pourquoi les protagonistes sont là ? Concentrez-vous : ce n’est pas le sujet.
Purement métaphorique
Dans La plateforme, on vous raconte à peine une histoire. On ne saura pas vraiment qui est Goreng, ce qu’il attendait de la vie, on ne sait même pas où il vit ni même son vrai nom. Parce que ce n’est que le vecteur de découverte, le personnage qui va nous prêter ses yeux et ses oreilles pour que l’on découvre cet univers. Puis on vous déroule une parabole d’une heure trente de lutte des classes et d’acceptation ou non du système. Ce film m’a laissée perplexe et j’ai du mal à le conseiller dans l’absolu. J’ai vraiment bien aimé mais si on aime pas le manque d’explication, c’est sûr, ce film va vous agacer.
1 thought on “La plateforme, le film métaphorique”